Le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, a finalement lâché du lest. La famille de Freddy Villanueva, le jeune abattu lors d’une intervention de la police à Montréal-Nord, et celles de ses deux camarades blessés (Denis Meas et Jeffrey Sagor-Metellus) ont eu gain de cause : elles auront des avocats dignes de ce nom, et qui plus est ceux-ci seront rémunérés par le ministère tutelle des policiers incriminés pour le dérapage du 9 août 2008.

 

Après moult tergiversations, on se dirige enfin vers une enquête publique qui fera date dans les annales des affaires juridiques au Québec. Les deux parties bénéficieront d’une aide juridique à peu près comparable, ce qui équivaut à dire que nous ne serons pas témoins d’une bataille « asymétrique » devant le juge. Incontestablement, il faut louer la persévérance de la famille Villanueva qui tient à ce que la lumière soit faite sur l’intervention des policiers montréalais il y a presque un an. Elle a su comment mobiliser une grande partie de l’opinion publique, chose très ardue dans des dossiers découlant du profilage racial.

En même temps, on ne peut ne pas avoir une pensée pour une autre famille québécoise qui a vu ses nombreuses requêtes relatives à des faits similaires se heurter au silence des autorités. Les Bennis ne savent toujours pas dans quelles circonstances est décédé leur fils, Anas, un matin de début décembre, et ce en dépit d’une enquête du Service de Police de Québec et une autre du Coroner général. Pourtant, les tragiques évènements qui ont mené à la mort par balles du jeune d’origine marocaine, âgé de 25 ans, ont eu lieu presque trois ans avant le drame de Montréal-Nord.
De plus, Anas est tombé dans l’un des quartiers les plus multiethniques de Montréal où habituellement règne une ambiance bon enfant. Différentes communautés s’y côtoient avec une aisance remarquable. La mosquée du quartier, d’où Anas, un jeune sans histoires, venait de sortir juste avant les tirs fatidiques, ne s’est jamais fait remarquer pour un quelconque acte répréhensible.

Le collectif « Justice pour Anas » dénonce avant tout le fait, assez inusité, que l’ensemble du dossier soit placé sous ordonnance de non publication par le parquet. Toutes poursuites contre les policiers fautifs sont ainsi devenues hypothétiques. « Le 4 novembre 2006, un procureur de la couronne décidait qu’aucune accusation criminelle ne serait déposée contre les policiers, tout en refusant de fournir une copie écrite de son rapport à la famille Bennis », écrit sur son site le collectif. Malgré plusieurs vigiles de ses membres, le secret n’est toujours pas levé sur le drame de 2005. Les parents qui ont perdu un être cher dans des circonstances moins bouleversantes savent que seules la connaissance de la vérité et la justice rendue peuvent permettre à la famille Bennis de faire enfin son deuil. La balle (osons une métaphore…!) est toujours dans le camp du ministre Dupuis.

Les tristes évènements de Côtes-des-Neiges et de Montréal-Nord sont les deux pointes de l’iceberg. Ils illustrent un malaise certain au sein de notre jeunesse. Certains, comme cette chroniqueuse du plus grand quotidien du Québec, prônent l’envoi dans les quartiers chauds de la ville de policiers au physique imposant. Surtout pas de femmes, au risque de violer la règle de parité dans les rangs de la police.
Les solutions se trouvent indéniablement à un autre niveau. Je persiste et signe : nos jeunes doivent avoir des modèles. Pour cela, les médias du Québec sont incontournables. Un Normand Brathwaite et un Rachid Badouri, c’est très peu pour espérer transformer le paysage québécois. On ne va pas s’étaler sur un sujet pressant, mais maintes fois évoqué.

Comment expliquer le manque de volonté des autorités à répondre aux attentes de la famille Bennis? Question d’une extrême difficulté au vu de l’opacité qui entoure le dossier. L’empressement du ministre de la Sécurité publique à passer outre les demandes incessantes du collectif « Justice pour Anas » suscite la frustration de la communauté maghrébine.
Un tour dans notre cour : Il faut reconnaître qu’il n’y a pas eu de stratégie réfléchie de la part de nos organisations communautaires. La tâche n’est, cependant, pas aussi pharaonique que celle ayant trait à un consensus sur la tenue d’états généraux dont la perspective n’a jamais été aussi lointaine. Se mettre d’accord sur une action concertée pour connaître la vérité sur la mort d’Anas Bennis pourrait nous éviter d’autres morts dans les rues de Montréal. Pour que d’autres Villanueva ne paient pas de leurs vies une intervention anodine de la police.