Dans le dicton algérien, on dit souvent voire tout le temps, « on ne peut pas cacher le soleil avec un tamis ». Ce dicton pourrait tenir la route dans notre culture populaire s’il n’y avait pas tant de sang, tant de drames, tant de crimes et tant de deuils. Depuis l’indépendance de l’Algérie, des millions de personnes ne cessent de souffrir, de subir les atrocités des injustices multiples. Le terrorisme et le clientélisme des années 90 et 2000 sont venus rajouter de l’huile sur le feu. Ils sont venus achever le rêve de l’innocence et saccager l’imaginaire génial de tout un peuple.

Cette noirceur, ces douleurs insupportables, elles ont été mises en évidence par deux cinéastes algériens extraordinaires lors de la 28ème édition Festival des Films du Monde de Montréal. Malek Bensamaïl, natif de Constantine, avec son excellent documentaire « Aliénation » sur la maladie mentale dans le Constantinois et Naguel Belouad, natif de Bgayet ( Bejaïa) avec son film fiction ‘’Père’’ qui traite de la quête identitaire.

Devant l’entrée du cinéma Le Parisien on pourrait voir une multitude de drapeaux des pays participants dont celui de l’Algérie. À l’intérieur de ce cinéma, on pourrait découvrir les mondes intérieurs de ces gens anonymes qui peuplent la planète. La salle qui a projeté les films algériens était pleine à craquer. On y voit des compatriotes mais aussi des cinéphiles de Montréal qui aiment découvrir le monde, comprendre les autres cultures. Ce drapeau qui symbolise la guerre de libération de l’Algérie a été malmené par les mauvaises gestions et les trahisons multiples qui se sont succédées depuis 1962.

La caméra-réalité de Bensamaïl n’a pas été par quatre chemins pour nous jeter à la figure les répercussions d’une guerre sans nom sur des jeunes hommes et des jeunes femmes qui auraient pu avoir une vie différente et normale si ce n’était la guerre, le terrorisme et la misère. Dans un asile psychiatrique des hommes parlent et parlent à leurs médecins traitants sans censure et sans avoir peur de « qu’en dira -t-on? ». Certains sont hantés par des Djins ou terrorisés par la police, les services algériens et les islamistes. D’autres n’ont pas supporté l’anarchie du pluralisme politique récent : « J’étais candidat aux élections raconte un des patients devant la caméra de Bensamaïl. Il y a avait, rajoute-t-il, trop de débat et beaucoup de tensions entre les partis politiques. Je n’ai pas supporté cette violence verbale et politique, j’ai craqué ».
Le second enchaîne sur le GIA et ses massacres avant de poser la question à ses compagnons d’asile « Au fait, est-ce que le GIA a conclu la paix avec l’État algérien ou non? ». Du ton sobre et serein, il passe à un registre plein d’humour avant de commencer à chanter ‘’ We are the world, we are the children ‘’. Apparemment marqué par le cycle de tueries, il lance un appel à la paix dans le monde. Ce jeune homme sympathique et pleine de vie revient des séquences plus tard pour dire qu’il a été violé par M.x et, depuis, sa vie a viré au cauchemar. À l’intérieur de l’asile, leur situation n’est pas rose non plus. Malgrè les efforts du personnel, les locaux sont délabrés et l’hygiène y maquent remarquablement. Une fois la crise surmontée grâce aux médicaments, ils revendiquent certaines choses comme les cigarettes et une nourriture décente. Ils veulent manger à leur faim. Les plus chanceux sont choyés par leurs familles lors des visites pendant que d’autres sont jetés dans les oubliettes du registre familial.

Du côté des femmes, le drame est à son comble. Elles ont craqué. Chacune a son histoire et ses raisons. Le documentaire commence par une jeune fille qui a un cursus scolaire exemplaire. Elle a fini par avoir des hallucinations. Elle voit des djins partout. Elle a même parlé à Dieu. Accompagnée par son père désarmé, elle s’entretient avec ses médecins pendant des heures. Ces derniers décident de la garder pendant une période sous observation. Déçue de ne pouvoir poursuivre les cours de médecine, elle a fait trois licences dans d’autres discipline. Mais cette obsession de devenir médecin a eu raison d’elle. Il y a aussi cette femme d’un certain âge qui explique à son médecin ses drames. Après des moments de désespoir, elle a réussi à avoir un travail de femme de ménage en accordant des faveurs sexuels à deux hommes sans scrupules. Ces deux énergumènes ont passé le mot à leurs collègues hommes pour avoir les mêmes faveurs. La dame résiste et refuse. Depuis, la gent masculine de son milieu de travail ne cesse de la harceler et de la pointer du doigt. Elle craque. Elle préfère laver les morts, côtoyer les morgues que de croiser des êtres humains vivants qu’elle qualifie de diables ambulants : « Dans nos rues, il n’y a point de sourire, point de vie», dira-t-elle à son médecin.

Naguel Belouad avec son film Père n’a pas été non plus par le dos de la cuillère pour nous montrer l’atmosphère de deuil et de désarroi qui habite l’âme des Algériens, la jeunesse en particulier. Tout le monde cherche un visa pour partir ailleurs, loin de l’enfer algérien. Dans le film de Belouad, on y voit rarement le soleil d’Algérie. Les Algériens ne voient plus la beauté de leur pays. Il y voient plutôt de la pluie, des nuages et des noirceurs à l’image de ce qui habite leurs cœurs. Sa caméra suit le rêve d’un jeune algérien Mahmoud qui décide de partir en France pour retrouver son père qu’il n’a pas vu depuis 20 ans. Belouad joue avec les techniques cinématographiques d’une façon magistrale. Il y a beaucoup de flashs back. L’aventure commence par l’exil intérieur. Il fallait quitter le village natal pour rejoindre son oncle à Alger. Ce dernier, artiste-rêveur accepte de lui donner « un coup de main » pour l’obtention d’un visa français. La personne qui débrouille clandestinement les visas a été assassinée dans sa chambres d’hôtel le jour même où le jeune homme et son oncle ont été récupérer le passeport. Mahmoud débarque à Marseille et rencontre Rabah Oukil qui pourrait le conduire chez son père. Une rencontre fâcheuse avec une dame française dans un bars lui brouille les pistes pour un moment. Rongée par la solitudes et ses problèmes de famille, cette dame se suicide dans sa salle de bain. Mahmoud prend la fuite et finit par retrouver Rabah. Ce dernier l’informe de l’état de santé de son père et le conduit à son chevet à l’hôpital. Il arrive en retard. Son père a rendu l’âme avec la frustration de ne pouvoir finir ses jours dans son pays natal. Tout d’un coup, le réalisateur nous surprend par la tournure de l’histoire. Mahmoud n’a jamais quitté son village. Tout le film n’était qu’un rêve. Mahmoud a voyagé dans son sommeil. Mais, dés qu’il se réveille, l’envie de quitter le pays le reprend et les dialogues qui ne finissent pas avec son miroir reprennent de plus bel.

Le mérite de ces deux films est qu’ils explorent tous les deux le monde intérieur de l’individu algérien. Il a très mal. Il faut qu’il parle, qu’il extériorise ce qui le ronge. Le cinéma algérien a cassé les tabous. Il le fait parler. La société aussi. Elle commence à se remettre en question. Reste à savoir s’il y aurait un jour un échos de la part des institutions de ce pays.

Source: http://www.algeroweb.com