Notre communauté à l’étranger compte beaucoup sur les huit députés qui siègent à l’APN grâce à son vote. Nous avons rencontré l’un d’eux, Mohamed Gahche, au siège de l’ambassade d’Algérie, à New Delhi, dernière étape d’une tournée asiatique que cet élu a accomplie pour mieux connaître ses concitoyens d’outre-océan.



-Vous venez d’effectuer une tournée marathon pour rencontrer les Algériens vivant en Asie et en Océanie. Avec quelles impressions regagnez-vous Alger ?

C’est un devoir d’aller à la rencontre de nos ressortissants pour écouter leurs doléances et les transmettre aux décideurs de notre pays. J’ai visité plusieurs pays en quarante jours : l’Australie, la Thaïlande, Singapour, Hong Kong, la Chine, la Corée du Sud, la Malaisie, l’Indonésie, le Vietnam et l’Inde. Je me devais de faire ces voyages, car c’est une question de «amana», de confiance et d’honnêteté. On a été élus pour être la voix de nos concitoyens expatriés, nous ne pouvons parler en leur nom sans avoir écouté leurs préoccupations. En ce qui me concerne, je représente la zone 6, qui regroupe trois continents : l’Amérique, l’Asie et l’Océanie. Cette fois, j’ai voulu consacrer mon temps à notre communauté vivant en Asie et en Océanie, car c’est la plus éloignée de la mère patrie. Les Algériens dans ces pays vivent un déracinement linguistique, culturel, religieux et social et restent très attachés à leur pays natal.

-Vous avez rencontré plusieurs Algériens dans ces pays. Quel est leur profil ?

En Chine, il y a beaucoup d’étudiants qui ont bénéficié de bourses dans le cadre de la coopération, mais considèrent la durée de leur formation trop courte pour apprendre une langue difficile comme le chinois. Certains préparent un doctorat d’anglais là-bas. Il y a aussi beaucoup d’Algériens qui ont ouvert des bureaux de transit et d’import-export pour orienter les entrepreneurs algériens qui se rendent en Chine pour s’approvisionner en machines, produits textiles et autres. En Australie, il y a des centaines de professeurs universitaires et de chercheurs, environ 2000 (150 en Nouvelle-Zélande), une ressource précieuse pour notre pays. Je leur ai suggéré de développer des échanges avec les universités de leur ville natale, cela ne peut qu’avoir des retombées très positives pour notre enseignement.

-Mais il n’y a pas que des intellectuels et des étudiants… Qui sont les autres ?

C’est vrai, il y a aussi des expatriés qui vivent plus modestement et d’autres qui ont de graves problèmes. A Jakarta, j’ai rendu visite à des détenus algériens, dont un jeune condamné à cinq ans de prison pour possession de drogue. C’est à Singapour que nos concitoyens souffrent le plus de marginalisation. Ils se plaignent de traitement raciste à leur encontre, qui commence dès l’aéroport. Ils sont alignés en file, isolés des autres voyageurs et fouillés minutieusement. Dans la vie quotidienne, ils trouvent beaucoup de difficultés à être recrutés, tout comme en Thaïlande. Certains se sont même inventé une nouvelle identité pour trouver du travail. Cela les prive de tous leurs droits sociaux et en fait des précaires qui vivent au jour le jour.  

-Votre mission consiste à répertorier les problèmes des Algériens vivant à l’étranger. Quels sont les plus dramatiques qui appellent une solution immédiate ?

Sans nul doute les détenus qui ont désespérément besoin d’une assistance juridique et légale, même pour ceux qui sont coupables, afin qu’ils aient un procès juste. Ensuite, les enfants nés de mère algérienne hors des liens du mariage et qui ne peuvent obtenir des documents auprès des ambassades. J’ai connu un couple à Jakarta, les deux sont Algériens, unis par le rite traditionnel de la fatiha, et qui ont eu des enfants. Ces derniers sont des apatrides de fait, car ils n’arrivent à obtenir aucun document algérien. De même, les enfants nés de couples mixtes non mariés, avec une mère algérienne et un père étranger. Les enfants prennent la nationalité du père étranger, mais n’ont aucun document algérien.

-Pourtant, le code de la famille reconnaît à la mère le droit de transmettre sa nationalité algérienne à ses descendants. Pourquoi cette disposition n’est-elle pas appliquée par les ambassades ?

Il n’y a pas de doute, le code de la famille est seul apte à établir le statut de ces enfants de mère algérienne. Il faut que j’étudie plus profondément cet obstacle bureaucratique qui empêche son application par nos représentations diplomatiques, qui doivent, je suppose, s’en tenir à de vieilles dispositions non mises à jour à la lumière du nouveau code de la famille. Un drame humain pour plusieurs couples, mixtes ou algériens non mariés, et pour ces enfants, algériens, mais privés de documents prouvant leur «algérianité».

-Avez-vous perçu une amélioration dans la qualité de l’accueil et de l’assistance portés à nos concitoyens par les représentations diplomatiques algériennes dans ces pays ?

Oui. Je ne peux pas dire que tous les désirs de nos ressortissants sont exaucés dès qu’ils franchissent le seuil des consulats. Il y a des requêtes raisonnables et d’autres malheureusement que ni le budget ni les prérogatives du personnel diplomatique ne peuvent satisfaire. Concernant l’obtention de documents, il y a eu une grande simplification. Les ambassades acceptent d’envoyer aux demandeurs, par courrier, des documents importants, vu l’étendue de certains pays (Australie, Inde…) et le coût faramineux des déplacements. Même les citoyens en situation irrégulière peuvent obtenir un passeport d’une année leur permettant de se mettre en règle avec l’administration du pays d’accueil. Disons que nos concitoyens commencent à dépasser la peur absurde qui leur faisait voir nos ambassades comme des «commissariats» où ils seraient fichés et réprimés. Par ailleurs, nous avons encouragé nos concitoyens à s’organiser en associations culturelles et sportives, et non pas religieuses, qui peuvent devenir, si elles sont bien employées, de véritables lobbies au service de notre pays.

-Vous avez rempli votre sac de voyage avec les problèmes de nos ressortissants. Que leur avez-vous apporté en échange ?

Beaucoup de bonnes nouvelles ! Ils sont nombreux à ignorer encore qu’ils peuvent, comme les autres Algériens, postuler pour un crédit immobilier, pour peu qu’ils justifient d’un revenu stable. Ainsi, nos concitoyens vivant à l’étranger, et qui souvent ne peuvent compter sur leur salaire pour devenir propriétaire de leur logement, peuvent le devenir en Algérie. Ils peuvent également bénéficier du programme d’aide à la création de micro-entreprises, ce qui ne manquera pas de résorber un peu le chômage. Nous avons aussi des projets pour trouver des formules plus économiques pour les vols vers Alger, et pour simplifier le rapatriement des dépouilles en cas de décès. Nous comptons également demander à ce que le plafond fixé pour les déménagements de nos ressortissants soit revu à la hausse. La valeur de 200 millions de centimes est désormais dépassée, car elle représente à peine la valeur d’un véhicule en cas de déménagement. Nous voulons également créer une cellule qui s’occupe des problèmes des familles de ressortissants, restés en Algérie, dans la mesure de nos moyens.

-Votre prochaine tournée sera consacrée aux Algériens d’Amérique...

Oui, inch’Allah. Je suis moi-même résident aux Etats-Unis et je connais très bien notre communauté dans ce pays et au Canada. Je voudrais aussi aller à la rencontre de nos concitoyens installés au Brésil, en Argentine, au Chili... Vous savez, les Algériens sont arrivés partout. Ce sont tous des Christophe Colomb assoiffés de découvertes !

Bio express :

Mohamed Gahche est pour ses amis américains, un Américain d’Algérie et pour ses copains du bled, un Algérien d’Amérique. Il a fréquenté les meilleures universités américaines : diplômé en économie, finances et sciences politiques, il parle aussi un anglais parfait qui ne l’empêche pas de prononcer ses interventions à l’APN en arabe classique.

Marié à une informaticienne et architecte algérienne et père de deux enfants, Mohamed, la quarantaine, a horreur du mot «immigré» ou «émigré» et avoue n’avoir jamais été victime de racisme aux Etats-Unis.


Source: El Watan