« Il faut que Tamazight devienne officielle »
« Faisons un rêve pour une Algérie diversifiée et réconciliée avec elle-même »
Idir

Deux milles personnes environ se sont déplacés à l’Olympia de Montréal pour voir le chanteur Idir. Invité par les productions Nuits d’Afrique en collaboration avec les Productions Revel et le FCNA, l’icône de la chanson algérienne d’expression amazighe a assuré avec beaucoup de professionnalisme et d’humanisme son spectacle. Les organisateurs étaient fiers de leur choix. Le public a eu pour son argent. Et les plus grandes gagnantes de la soirée étaient bel et bien la Kabylie, l’Algérie et la cause amazighe.

Depuis la tendre enfance de plusieurs générations d’Algériens et d’Algériennes en général et des Kabyles en particulier, ‘’A vava Inouva’’ raisonnait et continue à raisonner dans leur tête. Certains, même s’ils ne comprennent pas le Kabyle, sont envoutés par la mélodie et la voix de l’artiste. D’autres nagent et voyagent dans l’univers sublime de cette chanson. Ils sont fascinés par sa  mélodie, ses paroles et ses repères culturels dans lesquels ils ont grandi. Ce n’est pas tout, cette chanson a également été traduite dans plusieurs langues de la planète au point de devenir l’ambassadrice par excellence de la culture algérienne moderne d’expression amazighe. Ce fût un succès retentissant. Un succès qui a propulsé son géniteur dans les bras de la célébrité et des médias. Un succès qui a séduit aussi et surtout un large public composé de personnes de tous les âges, de toutes les cultures et de tous les pays. Ce qu’il faut retenir de ce phénomène artistique qui a fait la fierté de l’Algérie est que son auteur est demeuré simple, humble et modeste. Cet homme s’appelle Idir de son vrai nom Hamid Cheriet. Comme il a quitté l’Algérie depuis longtemps, beaucoup de ses compatriotes n’ont jamais eu la chance de le voir sur scène. En ce vendredi 15 mars 2013, il a assuré un spectacle magistral, émouvant voire magique à l’Olympia de Montréal devant presque 2000 personnes!

La soirée a commencé par la prestation du groupe montréalais Berbanya qui a tenu à rendre hommage aux Carrés Rouges. À ces étudiants du Québec qui  revendiquent la gratuité scolaire et qui exigent le gel des frais de scolarité. Un mouvement qui a fini par détrôner le parti libéral du Québec et qui a contribué à la victoire du Parti Québécois. Si le mouvement s’est essoufflé ces derniers temps, certaines franges d’étudiants n’ont pas baissé les bras. Ils continuent à rappeler au gouvernement Marois ses promesses. Aussi, le hasard a fait en sorte que parallèlement au spectacle, une manifestation contre la brutalité policière se déroulait à quelques mètres de l’Olympia. Bref, après le passage apprécié de Berbanya, Sara Nacer a annoncé l’entrée sur scène de Idir. La salle était aux anges. Les applaudissements et les youyous retentissaient aux quatre coins de l’Olympia. C’était tout simplement divin! Certains présents le revoient pour la deuxième ou troisième fois. D’autres le voient en direct pour la première fois.  Il y avait bien entendu beaucoup d’Algériens (Kabyles et Arabophones) et des personnes d’autres cultures et d’autres origines. «  Je suis de Tlemcen », dira un Algérien visiblement ému qui demandait sans cesse à sa voisine kabyle de lui traduire le maximum de ce que chantait Idir »; «  Je suis chaoui, Idir m’a dit qu’il était fier d’être algérien », dira Wahid complètement plongé dans l’océan des mélodies et des émotions qui se dégageaient du discours et de la voix de l’artiste.

Il était donc 21h passé quand Idir a commencé son répertoire. Ce qui est étrange et extraordinaire à la fois, lors de ce spectacle mémorable, est que le public assis ou debout chantait et Idir l’écoutait. En effet, à chaque fois que sa guitare annonce une mélodie, la foule devance l’artiste et chante en chœur une chanson donnée sans fausse note. Tout le monde ou presque connaissait par cœur tout le répertoire de l’artiste. C’était impressionnant. Il faut dire que Idir a aimé ce jeu et cette communion avec ses fans, les siens. Il a même entretenu cette complicité et cet échange pendant pratiquement toute la soirée. Une façon de faire le tour de son premier album et d’annoncer des moments de fête de Kabylie. D’ailleurs, c’est à ce moment-là qu’une chorale composée de deux Nadia et de zahia est entrée sur scène pour accompagner l’artiste. Elles seront suivies par les filles de la troupe de danse Tafsut pour embellir et immortaliser des instants de bonheur légués par les ancêtres depuis la nuit des temps. Et Idir de commenter ce tableau culturel : « À travers nos chants, à travers notre manière de chanter et de danser, pouvons-nous tout simplement montrer que nous avons une identité entière et que derrière cette poitrine, il y a un cœur, le même cœur. ». L’assistance a lancé une pluie d’applaudissements et de youyous. De ce message clair et concis, on pourrait saisir la profondeur de l’attachement de l’artiste à sa Kabylie et à son identité amazighe. En effet, il a incité les siens à défendre et à promouvoir Tamazight avec beaucoup de sagesse. D’ailleurs, lors de la conférence de presse, Idir lance un appel à tous les Algériens : «  Aidez-nous à défendre Tamazight ! ».

La mère: l’éternel féminin

Arrive le moment dur de la soirée. Ce moment qui renvoie chaque être humain à la source de sa vie : sa mère. Idir a relaté pendant un long moment des images qu’il a gardées de sa mère absorbée par ses tâches quotidiennes, et ses moments partagés avec sa gerbasse. Elle lui parlait, elle partageait avec elle ses moments de joie et de douleur, car elle était son seul interlocuteur. Idir qui a dédié la chanson ‘’Assendou’’ à sa mère s’est rendu compte qu’elle s’adressait en fait à toutes les mères, à toutes les femmes qui comptent dans la vie d’un être. Il dira alors à la foule la gorge nouée: «  Essayez ce soir, ici à l’Olympia de Montréal d’avoir dans votre tête, dans votre cœur, dans votre âme cette image si précieuse et si lumineuse  de celles qui nous ont donné la vie ou tout simplement de celles que vous aimez qu’elles soient ou non ce monde. Réjouissons de les avoir connues. Pensons à ces moments forts et agréables qu’on a passés ensemble et souvenons-nous de ces larmes qu’on a versées et de toutes ces choses qu’on aurait aimé faire et qu’on n’a pas faites, mais nous savons que le pardon habite tous les recoins du cœur de chaque maman. Célébrons-les, magnifions-les. En pensant à elles, il n’y a ni Québécois, ni Canadien, ni Français, ni Algériens, ni Tunisiens, il y a juste des milliers de cœurs là assis ou debout  pour assortir tout ce qu’ils ont de meilleurs en tendresse, en émotion et en amour. » Ces propos ont fait pleurer des centaines de personnes dans la salle.

Point de frontières entre les humains

« On va kabyliser un chant irlandais en lui ajoutant des accords kabyles. », dira Idir avant d’entamer la chanson  Targit (le rêve). Cette chanson irlandaise qui date du 17ème siècle et qui a été reprise par plusieurs artistes renvoie Idir à sa jeunesse. Il a donc gardé l’âme de la musique  initiale en l’habillant d’un texte qui exhausse les humains à travailler pour la paix, à s’unir et à vivre comme des frères. Cette chanson fait partie des autres titres du dernier album qui vient juste de sortir en cette année 2013. Idir a également chanté Adrar Inu (Ma montagne) qui a fait voyager le public dans les montagnes majestueuses de Kabylie. Après ce message rassembleur et hautement humaniste et ce retour aux sources, Idir a offert à son public un instrumental avec la flute et le bendir et des chansons phares telles que ‘’A vava Inouva’’,  et ‘’Azwaw Su mendil awra&’’  pour ne citer que celles-ci.

Le dimanche 16 mars, c’est au tour de la capitale nationale, Québec, d’accueillir Idir et son équipe. Selon Mourad Mahamli, l’un des organisateurs de l’évènement, environ 800 personnes dont 60% sont de la communauté kabyle. Le reste est composé d’Autochtones et de Québécois : « Les organisateurs du palais Montcalm, dira-t-il, sont ravis de découvrir un artiste talentueux comme Idir. La salle était sublime et confortable. Elle est vraiment une plaque tournante de la vie culturelle de la capitale nationale. Il faut également souligner la magnifique prestation des choristes montréalaises Zahia, les deux Nadia qui ont exécuté de superbes danses kabyles. »

Rencontre avec la presse

Au lendemain de son spectacle à Québec,  Idir a rencontré les journalistes de la communauté algérienne avant qu’il ne parte à Ottawa pour un souper organisé par Tiregwa et ACAOH à son honneur. En présence de Mohand Saadi, fondateur de la télévision berbère (BRTV), les échanges ont porté sur  la carrière de Idir, la communauté algérienne de Montréal, l’identité amazighe, BRTV au Canada, la diversité algérienne et des questionnements sur l’avenir  de l’Algérie, un pays qui a certes arraché son indépendance en 1962, mais qui a du mal à se construire sur des bases solides. Idir a trouvé que la communauté a énormément changé depuis sa venue en 1994 à Montréal. Il a senti une sorte de communion très forte entre lui et son public : « L’identité et l’éloignement  renforcent les liens et font tomber pas mal de préjugés. Cette communion nous aide à exorciser nos peurs. », Soulignera-t-il. Quant à la question relative à sa maigre production d’albums, Idir dira : « Je n’ai pas choisi ce métier. C’est plutôt lui qui m’a choisi. Grâce à ce métier, j’ai exprimé ma révolte face au déni identitaire et  linguistique. Je n’ai jamais été anti-arabe. Je suis kabyle. Le sang versé en Kabylie pour l’indépendance de l’Algérie, serait-il de la moindre qualité?  Donc, pour éviter les choses dangereuses, il faut que Tamazight deviennent officielle». Idir trouve que les nouvelles générations sont plus ouvertes et plus permissives. Donc, il y a de l’espoir que ce pays retrouve un jour un équilibre. Vient ensuite le tour de Mohand Saadi d’exprimer sa rage et sa colère : « Je suis chez moi et ils me nient ». Il a même raconté un moment émouvant qu’il avait partagé avec sa mère. Celle-ci, raconte-t-il, voulait tellement écouter la chaine kabyle, mais c’était impossible à cause de la faiblesse des  émetteurs. Cette douleur qui l’a fait pleurer même des années plus tard, l’a visiblement poussé à créer BRTV pour son peuple. Il est venu à Montréal pour conclure avec Bell l’installation de BRTV au Canada au grand bonheur de la communauté berbère. Cependant, il faudrait que 2000 personnes de cette communauté expriment ce besoin auprès des fournisseurs canadiens et québécois pour que ce projet se concrétise.

En somme, Idir, l’artiste a été à la hauteur d’un public connaisseur. Il a également séduit tout le monde y compris ceux et celles qui ne comprennent pas le Kabyle. Emmna El Hachemi, enseignante d’origine tunisienne qui s’est déplacée pour le voir et qui l’a déjà vu en Tunisie nous a donné ses impressions à la fin du spectacle : «  Je trouve que Idir est magnifique avec les siens. Moi, de l’extérieur, j’aime ses rythmes et sa musique. En fait, on ressent cette musique, mais on ne comprend pas les paroles. Ce qui est certain, si on traduisait les textes,  ce serait mieux. Quand il faisait les berceuses par exemple, le public kabyle ressentait certaines émotions plus que nous. Personnellement, j’adore le mariage des genres musicaux. Idir apporte toujours de l’innovation en intégrant des airs d’ailleurs comme ce qu’il vient de faire avec un chant irlandais. Bref, il représente un autre genre de musique. Mon amie Ghania Chalam, en me traduisant simultanément ce qu’il chantait, m’a aidé à mieux apprécier la soirée. Il est vrai qu’il n’a pas beaucoup chanté, mais c’est normal puisqu’il était en face d’un public qui connaît toutes ses chansons. Sincèrement, un petit livret traduisant ses chansons aiderait beaucoup de gens qui ne connaissent pas le kabyle à venir le voir et à apprécier davantage ce grand artiste. »

Djamila Addar

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