Djamel Lahlou vit au Canada depuis 21 ans, mais il n’a jamais coupé le cordon ombilical avec son pays d’origine.
Grâce à la musique.




«L’art pour ne pas mourir de la vérité», disait Nietzsche. C’est pourquoi, depuis toujours, il chante la culture, les traditions, l’amour, l’amitié, la modernité bien sûr, et toutes les nobles valeurs qui distinguent la société algérienne. Artiste incontournable au sein de la communauté algérienne établie au Canada, Djamel Lahlou reste pourtant peu connu du public algérien. Son parcours singulier, l’exil, l’exigence de maturation, diverses contraintes expliquent peutêtre qu’il ne soit pas ici sous les feux de la rampe, lui qui a incontestablement de l’étoffe, de la consistance pour une place dans la cour des grands de la musique algérienne. Djamel Lahlou en est conscient, il veut donc donner un coup de pouce au destin pour achever cette traversée du désert forcée et (re) conquérir sa place parmi les siens.

Son dernier pèlerinage à Alger, retour aux sources à chaque fois renouvelé au demeurant, obéit à ce profond désir, cette volonté de s’imposer sur la scène artistique de son pays d’origine.

Il était à Alger pendant six semaines, pour concocter un album qui, espère-t-il, le fera véritablement connaître et aimer du public algérien. Un album que Djamel Lahlou a titré (naturellement) Ressourcement, le deuxième après Zinet El Boulden (le plus beau pays) produit en 2007. «Se ressourcer, nous a-t-il expliqué, c’est retrouver l’Algérie culturelle en ma personne. Parce que j’ai découvert que j’ai une tendance chaâbi, une tendance berbèrophone, une tendance bedoui... La musique algérienne m’inspire dans toute sa diversité et sa richesse, sans oublier des couleurs occidentales pas très prononcées quand même, c’est-à-dire des sonorités modernes.»

Pour cet auteur-compositeur et interprète, quatre semaines d’enregistrement au studio H. (Staouéli) ont été nécessaires pour produire un album de haute facture, dans lequel il laisse éclater sa verve créatrice. «Un exploit si l’on considère que la plupart des chanteurs bouclent leurs enregistrements en une ou deux semaines seulement », fait-il remarquer. De ce point de vue, il faut dire que Ressourcement est un album achevé tant du point de vue acoustique (avec de vrais instruments, plus la qualité du son) que des arrangements. «Pour le réaliser, j’ai fait appel aux meilleurs musiciens sur la place d’Alger, à l’excellent arrangeur qu’est Zino Kendour et Walid Nachef comme ingénieur du son. Cet album de variétés algériennes contient les saveurs des quatre coins du bled, avec du chaâbi, de l’andalou mixé au jazz, du kabyle, du rythme oranais, du bedoui, une ballade moderne... Tout a été fait, les droits d’auteur déposés, la jaquette signée par Mohamed Aziz, un photographe algérien vivant à Montréal. Ressourcement sort dans les bacs ces jours-ci, studio H. s’étant également chargé de l’éditer à quelques milliers d’exemplaires», précise Djamel Lahlou.

L’album comprend 8 titres plus un instrumental, la plupart des chansons ayant été écrites et composées par l’interprète lui-même. Le tout est rehaussé par la participation remarquée des chanteurs Mourad Djafri, Hamidou, Samir Toumi, Samir El-Assimi, Mohamed Rebah et Karima Saghira. C’est ce qu’on appelle un travail de pro car, au final, les mélomanes seront comblés par cet album riche en couleurs et sonorités puisées à la source. De la musique du terroir donc, et un hommage à la culture de l’Algérie.

Par exemple, la chanson Dhabel Laâyen se veut un clin d’oeil au grand Rabah Driassa, tandis que Ya dzayer est une invitation au voyage dans le chaâbi. Le bain de jouvence donne encore plus de plaisir avec Qoum tara, Mahboub, El henna...

L’orfèvre est passé par là, ciselant les genres musicaux l’un après l’autre. De ce côté-là, l’artiste n’a peut-être rien à prouver, sauf qu’il lui reste à conquérir ce public dont il est séparé par des milliers de kilomètres et qui doit au moins savoir, pour commencer, qui est ce Djamel Lahlou qui ne veut pas se contenter de faire vivre, au Canada, l’Algérie à travers sa culture et son art.

Djamel Lahlou est né à Alger, en 1963, dans le quartier populaire de Diar El-Djemaâ. Grâce à un père mélomane, encouragé aussi par le voisinage de cheikh Ennamous, un virtuose du banjo, l’enfant de Diar El-Djemaâ se découvre petit à petit une véritable passion pour la musique, que ce soit le chaâbi, la chanson kabyle ou d’autres styles. Il confectionne luimême sa première guitare, puis commence à se produire sur scène... Il poursuit son apprentissage au sein de l’association musicale El-Andaloussia, joue de plusieurs instruments dont le mandole, a même une expérience dans le théâtre amateur. C’était dans les années 1980 et le jeune Djamel décroche, en parallèle, son diplôme en sciences politiques. Tout en se produisant avec sa troupe de musiciens, il tâte du journalisme, travaille comme conseiller à l’information... «A l’époque, nous dit-il, j’étais journaliste à l’hebdomadaire Actualité Economie. J’avais comme collègue et ami un camarade d’université, le regretté Smaïl Yefsah.

En 1989, j’ai quitté l’Algérie pour le Canada en vue de préparer un 3e cycle en sciences politiques. C’était à l’université d’Ottawa où, en ces temps-là, il n’y avait que quelques dizaines de compatriotes. Cette année-là, la première chose que j’avais achetée en arrivant c’était une guitare. J’avais tout de suite formé mon groupe de musiciens, tous des étrangers.»

Après quelques années passées à Ottawa, Djamel Lahlou préfère «émigrer » à Montréal, en 1992. «C’était surtout pour me rapprocher de la communauté algérienne, plus nombreuse dans cette ville. A l’époque, nous étions environ 2 000 Algériens, avant que le chiffre ne dépasse les 60 000 aujourd’hui. A Montréal, avec la troupe Timgad j’ai continué à chanter pour faire connaître et propager la musique algérienne », se rappelle l’artiste. La période qui va suivre, juste après, sera sombre et douloureuse pour lui.
Djamel Lahlou l’évoque avec amertume : «En 1993, l’assassinat de Smaïl Yefsah a été un choc pour moi, provoquant un blocage dans tout ce que j’entreprenais . J’étais très sensible à tout ce qui se passait en Algérie, ce qui se disait, mais je n’avais que des fragments d’informations sur cette tragédie, sur le terrorisme... Ma thérapie, ce fut de gratter ma guitare et montrer aux Canadiens le côté positif de l’Algérie. La musique m’a permis de reprendre ma place, professionnellement, et d’aller mieux psychologiquement. Je passais à la radio pour parler de l’Algérie, en donner une autre image, pour chanter surtout.

Entre-temps, j’avais acquis beaucoup d’expérience, j’étais devenu un professionnel.» Autre élément déclenchant, l’arrivée massive de ses compatriotes, ce qui lui a permis de multiplier les spectacles pour la communauté algérienne de Montréal.

«Depuis, ajoute Djamel Lahlou, je suis toujours derrière la production de spectacles d'Algériens, que ce soit les concerts, les festivals, les fêtes nationales et religieuses, les mariages... Les gens viennent en famille nous écouter chanter. En 2006, nous avions d’ailleurs créé l’UDAAC (Union des artistes algéro-canadiens), une association qui active dans ce sens. Nous avions aussi commencé à avoir les moyens de faire venir des artistes algériens de renom tels que Abdelkader Chaou, le regretté Guerrouabi, Nadia Benyoucef, Hamidou,Hakim Salhi, Cheba Fadhéla, Idir, Hamdi Bennani et d’autres. Je les accompagnais avec mon orchestre, les hébergeais, leur faisais découvrir la ville dans mon taxi.» Car Djamel Lahlou est «taxieur» (comme on dit chez nous) à Montréal depuis 1995.

«C’est un métier qui me donne beaucoup de liberté. C’est mon propre taxi, je peux donc m’accorder du temps libre pour la musique, m’occuper de mes deux enfants âgés de 13 et 15 ans. Ma femme, elle, m’encourage à faire de la musique et à venir en Algérie pour de courts séjours.
Le taxi est un travail autonome et magnifique pour quelqu’un qui est attaché à la famille et à la musique», explique-t-il en souriant. Ce qui ne l’empêche pas, toutefois, de projeter un travail plus valorisant, dans le domaine artistique bien entendu. Par exemple, établir un pont entre la société d’origine (l’Algérie) et la société d’accueil (le Canada) pour les nombreux talents expatriés, la culture étant un facteur d’unité sans pareil.
Ayant beaucoup appris des grands artistes qu’il a côtoyés à Montréal (Idir, Chaou , Bennani, etc.), en plus de son expérience de la scène, Djamel Lahlou a déjà eu l’idée de sortir un premier album en 2007 : Zinet el bouldane, un CD non commercialisé en Algérie faute d’éditeur. «Tous voulaient du rythme, dans le genre raï… Quoi qu’il en soit, cet album était l’aboutissement d’une longue expérience artistique. Les chansons sont tout de même passées à la radio algérienne, dont Lechyakh qui a été n°1 au Top 10 de radio El Bahdja. Quant au clip-vidéo Ma bkachi h’naya, la télévision l’a diffusé à quatre reprises», se souvient-il. Ayant tiré les leçons de cette première tentative musicale pour conquérir le public de son pays, Djamel Lahlou place tous ses espoirs dans son deuxième album Ressourcement.
Et comme cet artiste a plusieurs cordes à son arc, revenons plutôt à cette expérience d’acteur qui a contribué à le faire découvrir par le public algérien.

«C’était, nous dit-il, dans feuilleton Bin el Barah ou lyoum (entre hier et aujourd’hui), de 16 épisodes, réalisé par Ameur Brahim et tourné au Canada en 2008. Dans ce feuilleton diffusé par Canal Algérie au mois de Ramadhan 2009, j’ai participé parmi les rôles principaux aux côtés de Azizi Guerda, Fawzi Saïchi, Souad Sebki, etc.
Le thème, c’était la vie quotidienne de la communauté algérienne au Canada, les problèmes d’intégration, de chômage… Une belle expérience synonyme de nouveaux horizons.» A cet égard, Djamel Lahlou nous apprend qu’il va jouer dans le prochain film de Fethy Bendida, un jeune réalisateur algérien établi à Boston (Etats-Unis). «Il s’agit d’un long métrage de fiction, l’histoire d’un Algérien qui quitte sa famille pour aller vivre aux Etats-Unis. Fethy Bendida est oranais, n’a pas encore trente ans,a déjà réalisé un court métrage, Green Card, qui a décroché le premier prix d’une production étrangère au Canada», précise Djamel Lahlou.

Une chose est sûre : cet artiste établi à Montréal fera parler de lui, ne serait-ce que parce qu’il veut donner un nouveau souffle au chaâbi tout en étant le digne ambassadeur de la culture algérienne au Canada. Rien que pour cela, il mérite tous nos encouragements.

Pour le contacter : www.djamellahlou.com

Source: Le Soir d'Algerie