La communauté maghrébine est l’un des plus gros pourvoyeurs d’intervieweurs pour les compagnies de recherche en marketing qui ont pignon sur rue à Montréal. Certains y travaillent quelques mois, d’autres le temps de terminer leurs études. Mais le ressentiment est le même pour tous : la précarité de l’emploi peut gâcher irrévocablement leur projet canadien. Immersion dans un monde plein d’incertitudes.

Auréolé de sa maîtrise en communication de l’Université Laval à Québec, Ali, un Tunisien arrivé au Canada en tant qu’étudiant étranger, débarqua à Montréal il y a deux ans, avec l’espoir de dénicher l’emploi de ses rêves.  Des cours d’anglais à l’UQAM étaient censés l’aider dans la voie qu’il s’était tracé. La réalité s’avéra brutale.
Las d’envoyer des CV et de faire les allers et retours au Centre Local de l’Emploi du quartier, Ali jeta son dévolu sur le télémarketing. Plus d’une année après, il en garde un goût amer : « La pression est quotidienne. Chaque jour, on exige des employés un rendement effréné. Les avantages sociaux sont quasi-inexistants et les congédiements monnaie courante. On a toujours dans l’esprit les fameux 2 P : précarité et productivité. Je n’avais jamais pensé travailler dans un tel domaine. »
Certes, le travail a le mérite d’offrir aux nouveaux arrivants une première expérience à portée de main, ainsi que l’opportunité d’améliorer l’anglais, voire même le français. On peut également découvrir quelques facettes de la société locale. Toutefois, les déceptions sont légion.

Quand la perspicacité ne paie pas…

Dans le périmètre entre la rue Peel et Guy, de nombreux Algériens monnaient leur talent pour des firmes de recherche en marketing. On peut les rencontrer durant leur pause lunch dans les pizzerias du quartier. C’est dans l’une d’elles, que j’ai rencontré Azzedine. Ce diplômé de deux universités européennes de renommée, parfait trilingue, a abandonné une prometteuse carrière en communication pour tenter le grand saut de l’autre côté de l’Atlantique. « À l’époque, il me semblait qu’on avait besoin de francophones au Québec », renchérit-il aujourd’hui. Il se considère comme un vétéran des sondages. Il a tout connu : la pression des résultats, les insultes au téléphone, les écoutes des supérieurs ou des clients, etc. « Le plus dur, ce se sont les superviseurs zélés qui se collent à vous toute une soirée. Généralement, ils ont juste terminé le collège, d’où un certain complexe », ajoute Azzedine. De surcroît, les années passées dans un minuscule cubicule ne devraient pas être comptabilisées dans un CV, au risque de le dévaloriser significativement.
Les Algériens sont très appréciés par les firmes de sondages, essentiellement pour leur perspicacité et leur accent. Ils ne roulent pas les “r” comme les Français, quand il s’agit de lire un texte en anglais. La deuxième génération d’Algériens est également présente dans le milieu. Ils opèrent souvent sous des « prénoms d’ici ». Nombreux sont ceux qui adoptent des noms typiquement québécois le temps d’une soirée de sondages : Tremblay, Lamarche, Montcalm, Durivage et j’en passe. Bilal s’est « baptisé » Bruno. Ce jeune Canadien natif de l’Algérois, malgré ses dix-neuf ans, a fait le tour de la plupart des grandes compagnies oeuvrant dans le centre de la métropole montréalaise. « Plus vous vous éloignez de la rue Peel, plus vous avez la chance de décoller du salaire minimum. Mais n’espérez pas dépasser 11 dollars à l’heure », précise-t-il. « Les firmes anglophones paient de loin mieux! ».

Plus jamais ça!

L’industrie du télémarketing emploie plus de 270 000 personnes à travers tout le Canada. Environ 16 milliards de dollars de biens et de services sont vendus par téléphone chaque année.
Dans la presse gratuite montréalaise, les firmes de sondage occupent un espace important sur les pages publicitaires. Elles multiplient les idées alléchantes pour recruter un grand nombre de jeunes pendant la période faste entre avril et novembre : une formation payée, des horaires flexibles, une ambiance de travail dynamique, etc. Les exigences des employeurs, par contre, sont extrêmement modestes. Un bilinguisme fonctionnel et des connaissances de base à propos d’un ordinateur suffisent pour décrocher la job.
Les étudiants bilingues constituent une cible privilégiée. La majorité d’entre eux cherche un deuxième revenu, mais parmi les Maghrébins, certains en font leur principale source de rentrées d’argent. « C’est une erreur. L’argent que je perçois ne me permet nullement de payer mes factures », souligne Bilal alias Bruno.
I.D. est l’un des rares Maghrébins qui ont réussi à s’imposer dans le monde des sondages. Il reconnaît qu’ « un débutant dans ce milieu réputé ingrat doit se plier aux exigences des compagnies qui ont souvent des cultures différentes. »  
Pour son compatriote Ali, l’enfant du Sud tunisien, la difficile expérience vécue entre les rues Peel et Guy fut une sorte de déclic. Elle est pour beaucoup dans sa décision de quitter le Québec. Depuis deux mois, il fait partie de la communauté francophone de Calgary. Il demeure serein quant à sa recherche d’un premier emploi en terre albertaine. « Je ferais tout pour éviter la précarité qu’offre un poste d’intervieweur. On ne m’y prendra plus!», jure-t-il. À méditer en ces temps de récession annoncée.
Il faut dire que des nuages s’amoncellent sur les firmes de télémarketing téléphonique depuis l’entrée en vigueur, le 30 septembre, de la liste nationale de numéros de télécommunication exclus (LNNTE) qui oblige ces entreprises à ne pas solliciter les personnes, dont les coordonnées figurent sur cette liste. En tout cas, son initiateur, le Conseil canadien de la radiodiffusion et des télécommunications  (CRTC), promet déjà d’être vigilant.



* Pour en savoir plus sur la LNNTE, voir http://www.lnnte-dncl.gc.ca/ ou composer le 1-866-580-DNCL (3625).


Pour la protection des personnes décrites dans cet article, tous les noms sont fictifs.