Plus d’une semaine après la victoire remportée à Khartoum par la sélection algérienne de football contre sa rivale d’Egypte, le fiel déversé par les medias de ce pays et certaines personnalités politiques commence à sentir vraiment mauvais.

Des propos malveillants, voire incendiaires, ont été tenus sans que leurs auteurs n’aient à s’en expliquer. Du colérique commentateur Amir Adib, un adepte des lamentations sans fondement celui-là, à Alaâ Moubarak, le fils ainé du rais, c’est presque tout ce compte l’Egypte comme élites qui crie au voleur. Sauf que, dans ce cas-ci, c’est « drabni wa b'ka, j'ra wa ch't'ka », comme le dit un adage bien connu sous l’Atlas. Certains y voient un clash des (non ?)-civilisations. Les plus frustrés appellent à venger le Pharaon humilié par le roi amazigh Chachnak il y a environ 950 ans avant Jésus-Christ. Le pays qui a enfanté un roc comme Muhammad Hussain Haykal est bien triste à voir.

Quand la vox populi a raison
Bizarrement, Alger n’a pas levé le petit doigt pour dénoncer une escalade verbale et des insultes réservées à nos symboles les plus chers. Même les martyrs de la guerre de libération n’ont pas été épargnés. Le gouvernement algérien a passé sous silence des appels au meurtre venus de plusieurs personnalités des medias égyptiens qui n’ont jamais caché leur proximité avec le clan Moubarak. Le fils ainé du président en a proféré toute une kyrielle, notamment en déclarant sa disponibilité à « cogner à la tête ». La surenchère haineuse continue d’aller crescendo. Conséquence : nos compatriotes qui poursuivent leurs études dans des universités égyptiennes sont la cible d’agressions et d’humiliations de la part de voyous.

Que veulent-ils au juste ces affidés du régime égyptien ? Que les responsables algériens s’excusent que nos joueurs n’aient pas rebroussé chemin du Caire quand ils ont été reçus avec des pierres ? Qu’on demande pardon pour avoir permis à des supporters de la sélection nationale moins nantis de faire le voyage à Khartoum afin d’encourager leurs idoles ? Qu’on fasse notre mea culpa à cause d’un succès arraché honorablement sur le terrain, alors que toute Oum Eddounia s’apprêtait à danser sur les bords du Nil ?

Décidément, nos amis égyptiens connaissent mal les Algériens. Si les élites gravitant autour du pouvoir en Algérie ont longtemps été hypnotisées par le discours martelé ad nauseam sur la « fraternité » entre les deux nations, ce n’est certainement pas le cas de la rue algérienne. Et comme ça arrive souvent en Algérie, la vox populi est bien mieux au fait des évènements et bien plus clairvoyante que ne l’est le régime. Les freelances et autres youtubers algériens le prouvent chaque jour. De vrais moudjahidines venus suppléer une télévision d’État aux ordres qui doit impérativement s’ouvrir à nos intellectuels. C’est peut-être là que réside l’origine de nos faiblesses devant l’ogre d’Égypte.

Nos « frères » au Caire ou à Alexandrie peuvent être certains : nous continuerons à entonner les chants de Milano & Torino, même si un jour un faible d’esprit décrétera leur interdiction. Jamais nous ne cesserons de nous émerveiller pour le scud lâché par Anthar Yahia un jour de novembre ! Désormais, nos rapports sont entachés par le sang de Khaled Lemmouchia et Rafik Halliche !

Des décennies de compromissions
Les officiels algériens ont mis du temps à réagir aux provocations des voyous cairotes qui ont non seulement caillassé le bus transportant les membres de notre délégation, mais se sont également attaqués à de simples citoyens ayant fait le voyage pour soutenir leur équipe. Ce n'est qu'après avoir compris qu'il avait été trahi par son homologue égyptien que le président Abdelaziz Bouteflika a décidé de mettre sur pied un pont aérien Alger-Khartoum pour transporter les supporters algériens.

Quelque chose est en train de changer. Pendant des décennies, les Algériens n'ont cessé de montrer patte blanche, quitte à renier une grande partie de leur histoire. L'essentiel était de se faire accepter par la nation arabe, le « leader » égyptien en tête.
L’attitude aplatventriste de la classe politique algérienne, ce qu’il est convenu d’appeler la famille révolutionnaire, a été inaugurée avec l’avènement du régime communisant d’Ahmed Ben Bella, un zaim lié au rais Gamal Abdel Nasser par des liens d’amitié, en plus de l’affiliation idéologique. Avec des conséquences calamiteuses pour l’Algérie, chose que continue de nier l’historiographie officielle. Mais pas l’Algérien lambda.

La tête du ministre des Affaires Etrangères d’une Algérie encore naissante, Mohamed Khemisti, n’a-t-elle pas été donnée en pâture à ses assassins uniquement dans le but de calmer le dictateur Nasser ? Le regretté ministre a rapidement été remplacé par Bouteflika. Le même sort a été réservé au colonel Mohamed Chabani, l’un des officiers les plus intègres qu’ait connu l’armée nationale, exécuté sous la présidence de Houari Boumediene. Tout cela pour nous épargner les foudres des dirigeants égyptiens. Jusqu'à un passé récent, la génération d’après 1962 ne connaissait rien de ces militants de la première heure, sacrifiés à l’autel de la fraternité avec la « tutelle » égyptienne.

Récemment, Alger a soutenu éperdument le sujet du Pharaon Moubarak, Farouk Hosni, dans sa tentative de conquérir le poste ô combien prestigieux de directeur général de l’UNESCO, menaçant notre concitoyen, le célèbre juge Mohamed Bedjaoui, de rétorsion s’il ne se retirait pas, même si sa candidature avait été proposée par…le Cambodge! L’ancien juge de la Cour internationale de justice à La Haye et ex-chef de la diplomatie algérienne a été traité comme un vil harraga par les dirigeants de son propre pays. Un autre complexe du plus haut magistrat...

Certes, la mobilisation de la rue algérienne, qui a pris fait et cause pour ses représentants, a vite été récupérée par Bouteflika, dont les posters ont couvert le bus de nos joueurs quand ceux-ci ont défilé à travers les rues d’Alger. Mais il n’est pas dit que l’Algérien oubliera facilement que nos politiques se sont laissé berner par Moubarak, alors les supporters algériens étaient livrés à la furia cairote.

L’Égypte, un modèle moribond à éviter
Étrange nationalisme que celui des Égyptiens. Tourné vers une quête maladive pour le leadership dans le Monde arabe, ses thuriféraires sont les premiers à s'allier à nos ennemis dès qu'une autre nation montre le bout du nez entre le Golfe Persique et l'Atlantique. Les habitants de Rafah, la petite localité palestinienne située à vol d'oiseau de la capitale d'Oum Eddounia, devenue une prison à ciel ouvert avec la complicité du régime des Moubarak, en savent quelque chose.
Seuls les intérêts égyptiens comptent. Le vieux et austère Amr Moussa trône toujours sur la Ligue arabe. Il a succédé à 5 (sur 6) secrétaires généraux d’origine égyptienne! Le Caire s’est vu également octroyer une place de choix dans l’Union pour la Méditerranée chère à Nicolas Sarkozy.

Les Algériens ne méritent pas une république héréditaire semblable à celle qui se prépare en Pharaonie. Bouteflika devrait raisonner son ambitieux frangin. L’avidité se soigne. La partie algérienne gagnerait également à réduire drastiquement ses relations avec Le Caire. L’ambassade d’Algérie y est devenue un refuge pour vieux apparatchiks de l’ancien parti unique. Abdelkader Hadjar, l’une des figures les plus controversées du clan de Tiaret, en est l’exemple parfait.

Au pays, depuis des décennies, c'est tout un peuple qui souffre d'une overdose de soap operas égyptiennes sans goût ni saveur. Après les instituteurs made in Egypt, violents et dépressifs, c'est le coup de grâce pour une société algérienne en mal de repères.
D'un autre côté, les quelques firmes du pays des pyramides activant sur le territoire national se comportent souvent en pays conquis. La compagnie Orascom, le géant des télécommunications de Naguib Sawiris, l’homme le plus riche sur le Continent Noir parait-il, est allée jusqu'a céder en catimini sa division Orascom Cement au français Lafarge, transaction mirifique qui ne cadrait pas avec les orientations du pays.

Force est de constater que ces firmes occupent des créneaux dans lesquels nos compagnies rencontrent d'énormes embuches. Aux Algériens, il reste le rôle de spectateur, puisque même les manœuvres proviennent du large marché du travail égyptien. Pourtant, ce ne sont pas les compétences qui manquent chez nos compatriotes, y compris ceux de la diaspora. Pour l’instant, leurs perspectives se réduisent à zéro, corruption aidant. Un autre match dans lequel les deux peuples sont totalement perdants.

Réconcilier les Algériens avec leur patrimoine, c'est le meilleur cadeau qu'on puisse leur faire. On ne peut systématiquement hypothéquer l'avenir du pays en misant uniquement sur une région de la planète, aussi proche de nous soit-elle. Aucune loi de la géopolitique ne prêche l’alignement sur une seule entité, ni même une région du globe.
À voir de près, il y a meilleur modèle que celui d'un État qui s'apprête à entrer dans le cercle peu select des républiques héréditaires. Au sud, le Mali ou le Ghana, deux démocraties très prometteuses, sont beaucoup plus intéressants qu’une Égypte moribonde et en proie aux doutes à cause du déclin programmé de son protecteur américain. Pourvu que la famille Bouteflika retienne les leçons de la bataille 14-18.