En ce mois d’Octobre 2008 s’est tenu à Québec, berceau de l’implantation française en terre d’Amérique, le XIIème Sommet de la Francophonie. Francophonie institutionnelle incarnée par l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie) dont Abdou Diouf en est le secrétaire général, elle regroupe 55 pays ou gouvernements participants et 13 pays observateurs repartis sur les 5 continents.

L’OIF n’est pas l’incarnation de la France et de ses anciennes politiques coloniales. Bien au contraire, la France y  fut opposée et la présence très écourtée de Nicolas Sarkozy lors du XIIème sommet à Québec n’en est q’un symbole des plus éclairants. Le président français n’a pas, comme il est de coutume, assisté à la totalité du sommet. La Francophonie est ce qu’en disait Léopold Senghor dans, « Le français, langue de culture » paru dans le numéro de novembre 1962 de la revue Esprit. «La Francophonie, c'est cet Humanisme intégral, qui se tisse autour de la terre : cette symbiose des "énergies dormantes" de tous les continents, de toutes les races, qui se réveillent à leur chaleur complémentaire.»

Le mot francophonie a été inventé par Onésime Reclus lorsqu’il écrivit son livre sur l’Algérie en 1886. Humaniste et géographe, Onésime Reclus souhaitait mettre en exergue les valeurs communes et la richesse de tous les Hommes utilisant le français comme langue commune. Pour lui le français était symbole de plurilinguisme, de diversité culturelle et de respect mutuel. "Comme nous espérons que l'idiome élégant dont nous avons hérité vivra longtemps un peu grâce à nous, beaucoup grâce à l'Afrique et grâce au Canada, devant les langues qui se partageront le monde, nos arrière-petits-fils auront pour devise : "Aimer les autres, adorer la sienne" (Onésime Reclus) !" Aurélien YANNIC1 a tracé avec brio le portrait et souligné l’importance de Reclus dans la découverte et la définition de ce concept de francophonie. Onésime Reclus fut l’un des premiers intellectuels francophones à intégrer ce concept dans ses réflexions et dans son œuvre.

L’idée était née avec ce géographe puis tomba dans l’oubli. Oubli bien volontaire car l’universalisme francophone allait à l’encontre de la politique coloniale de la France de cette époque. Léopold Sédar Senghor, figure politique et culturelle de ce XXème siècle, invente en 1962 l’idée de francophonie : point de rencontre entre l’universel et le particulier. Pour développer son idée où la culture et la langue sont les deux piliers de ce projet, le rejoignent Hamani Diori, président du Niger et Habib Bourguiba alors président de la Tunisie2. Cette francophonie là s’est construite contre l’idée du colonialisme et dont Kateb Yacine pourrait en être le porte-parole par sa phrase si célèbre en Algérie : « Le français est notre butin de guerre ». L’Algérie ne fait pas partie de l’OIF, choix politique s’il en est. Elle a cependant était invité spécial au sommet de Beyrouth en 2002 ainsi qu’à celui de Ouagadougou en 2004. Elle a toutefois intégrée l’AUF (Association Universitaire Francophone) avec qui elle a de nombreux projets de coopération universitaire. Mais, que ses dirigeants le veuillent ou non, l’Algérie fait partie intégrante de la francophonie (ensemble des locuteurs du français) car elle est, après la France, le premier pays francophone au monde.

Lors de ce XIIème sommet, le président algérien a répondu présent à l’invitation de Jean Charest et de Stephen Harper, preuve s’il en est des relations ambiguës entre l’Algérie et l’OIF et entre les dirigeants algériens et la francophonie. Cette présence démontre les affinités algériennes avec la Francophonie et marque malgré toutes les dénégations officielles du gouvernement algérien depuis plus de 30 ans le lien indéfectible ente la langue française et les Algériens. Malgré les méfaits et les évènements tragiques de la colonisation, les Algériens ont su voir en cette francophonie, non la figure et la politique de la France, mais la culture et la langue française, vecteur d’échange et d’enrichissement culturel. Symbole en est cette langue algérienne où le français se mêle à l’arabe, à l’espagnol, le tamazight ou bien encore l’italien pour offrir une richesse de plus à la diversité culturelle mondiale. Les dirigeants algériens pourraient ainsi s’inspirer de la sagesse de leur peuple pour arriver à une maturité intellectuelle sur la question de la langue française en Algérie et non pratiquer une politique éculée, en refusant de dissocier la langue et la culture d’une histoire politique douloureuse faite de 132 ans de colonialisme. La Francophonie peut permettre cela et rapprocher d’avantages encore l’Algérie de ces quelques 70 peuples sur les cinq continents, ayant le français en partage.

Les émigrés algériens l’ont d’ailleurs bien compris et leurs principales destinations sont les symboles de cette richesse culturelle et linguistique. Hormis la France, qui représente toujours la majorité de ces expatriés, l’émigration algérienne se retrouve dans des aires linguistiques symboles de leur vivacité en Algérie. Ainsi, le monde arabophone accueille, notamment dans les Emirats Arabes Unis une part importante de cette expatriation et l’héritier d’une histoire et d’une émigration algérienne dés avant le XIXème siècle. Le Proche et le Moyen Orient sont toujours des terres d’accueil pour cette population algérienne souhaitant quitter son pays. Les aires francophones attirent également, quant à elles beaucoup plus récemment à l’image du Québec, cette population en quête de vie meilleure. Le Québec est à ce titre un bon exemple de l’attirance du français pour ces candidats à l’exil. Bien que l’anglais soit primordial pour l’obtention d’un poste à responsabilité au Québec, le français n’en demeure pas moins la langue commune et le premier lien entre les individus et les communautés. Le français est alors un outil fédératif et de reconnaissance. En effet, les immigrants ne peuvent envisager une bonne intégration dans la province sans prendre en compte la force et le poids du français dans l’histoire et le cœur des Québécois. Les Algériens ont en cela une facilité en pratiquant un français de très bonne qualité qui leur offre une visibilité dans la société québécoise. Cette richesse linguistique doit être perçue comme un plus et non un obstacle ou un frein à l’intégration comme cela s’entend parfois. L’échange est primordial et le français en est le moyen, car devenir des Québécois d’origine algérienne comme le souligne Farid Salem passe par cet échange (des deux côtés) en francophonie.

Marion Camarasa
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1 - Aurélien Yannic (Le Québec en francophonie. Perceptions, réalités, enjeux : ou les relations particulières Québec Canada France espace francophone, des origines à 1995 Thèse de Doctorat UQAM et Université Toulouse le Mirail, 2007.


2 - Aurélien YANNIC, Mémoires vives, La francophonie et le dialogue des cultures: de l’exception culturelle à la française à la Convention de l’UNESCO
Bulletin n°25, mai 2008 La pensée reclusienne, la francophonie et l’Amérique du Nord.
http://www.cfqlmc.org/index.php/bulletin-memoires-vives/bulletins-anterieurs/bulletin-nd-25-mai-2008/112-la-pensee-reclusienne-la-francophonie-et-lamerique-du-nord