La Françafrique n’a jamais été aussi resplendissante. En tous cas, elle tient toujours bon. Deux faits viennent confirmer cette opinion qui, habituellement, circule dans les couloirs de certaines rédactions parisiennes.

 

Tout d’abord, Ali Bongo n’a pas résisté à l’envie de prolonger la dictature instaurée par son père au Gabon avec la bénédiction de Paris. Sitôt dit, sitôt fait! L’opposition n’a pas pesé lourd devant la machine du fils de feu Omar Bongo Ondimba.
Même si ses puissants parents ne sont plus de ce monde, d’autres proches contrôlent outrageusement toutes les sphères névralgiques de l’État gabonais. On ne voit pas comment les élections tenues dans ce petit pays riche en pétrole (le quatrième producteur en Afrique sub-saharienne) pouvaient accoucher d’un autre résultat que la victoire de l’héritier des Bongo Ondimba.

Un autre dictateur africain à l’étonnante longévité s’est offert un bain de foule des plus puérils. Le président camerounais Paul Biya, dont le pays ouvre traditionnellement la liste des pays les plus corrompus sur terre publiée chaque année par l’ONG Transparency International, a passé un mois en France, dépensant une somme somptuaire, évaluée par des témoins à 1 million d’euros. La délégation accompagnant le vieux dictateur a réquisitionné plusieurs dizaines de chambres d’un hôtel de luxe sur la côte de l’Atlantique.

La note laissée est des plus salées pour le contribuable camerounais. Jugez-en : 42 000 euros pour les 43 chambres occupées, en plus des frais de restauration et de loisirs (casino, séances de thalasso, shopping etc.), ce qui donne 800 000 euros pour trois semaines, auxquels s’ajoutent 340 000 euros par jour de location d’un avion cloué au sol pendant toute la durée des vacances de celui qui dirige un État sous perfusion internationale. Quand on pense au tollé soulevé par l’« affaire » de la modeste villa louée par Barack Obama pour un congé deux fois plus court, tout questionnement des contribuables africains ou occidentaux sur la destinée de l’aide internationale aux pays pauvres du Continent noir devient légitime.    

Toutefois, dans cette histoire, ce ne sont guère les chiffres qui choquent le plus. L’attitude de l’administration française est de loin plus problématique.
En effet, comme pour narguer ses hôtes, Paul Biya a choisi pour ses vacances la ville de La Baule, d’où le président François Mitterrand avait lancé son mémorable appel aux dirigeants africains pour une bonne gouvernance. L’arrogant Biya ne pouvait ignorer ce fait historique, puisque il se trouvait parmi les dizaines de chefs d’États africains qui avaient assisté au Sommet franco-africain de juin 1990.

Certains officiels français semblent avoir la mémoire bien courte en ces temps de crise. C’est le cas du maire de La Baule qui a pris la décision d’honorer Paul Biya de la médaille de la ville. Pathétique!
La même cécité a touché les hautes sphères de la République. L’empressement avec lequel le secrétaire d’État chargé de la Coopération et de la Francophonie a célébré la victoire d’Ali Bongo est symptomatique de cette France qui refuse le changement dans son pré carré africain. Comment expliquer que la justice française traque les citoyens fraudeurs pour la simple raison qu’ils tiennent des comptes dans des banques suisses, alors que des dictateurs africains possèdent d’immenses fortunes sur les bords de la Seine? Les palais des Bongo, Biya et autres Sassou Nguessou ne sont qu’un secret de Polichinelle. 

Force est cependant de constater qu’au lendemain de son intronisation comme le nouveau maitre de l’Élysée, Nicolas Sarkozy avait prédit « la rupture dans la continuité » avec la Françafrique chère à ses prédécesseurs. En 2007, dans les locaux de l’Université de Dakar, il réitéra sa conception qui devait révolutionner les relations franco-africaines, quand il prononça des mots que beaucoup perçurent comme teintés de racisme : « Le drame de l’Africain, c’est qu’il n’est pas assez entré dans l’Histoire ». En somme, un révisionnisme de bon aloi!

Du changement annoncé ne sont restées que les promesses. De la poudre aux yeux des Africains. Les marchands d’armes au riche casier judiciaire tels le turbulent Pierre Falcone et son acolyte Arcadi Gaydamak ont eu toute latitude pour se positionner sur d’autres marchés. La place de Jacques Foccart, le Monsieur Afrique de plusieurs présidents français, De Gaulle compris, qui a été derrière le recrutement d’une armada de dirigeants africains (entre autres Eyadema et Bongo), a été dévolue à une nouvelle race d’affairistes à l’appétit incommensurable. Parmi eux, l’avocat franco-libanais Albert Bourgi s’impose comme une figure centrale. C’est lui qui conseille Sarkozy quand il faut jouer sur les apparences dans le dossier africain.

Le Gabon de l’après-Omar Bongo aurait pu faire l’évènement qu’attendait des millions d’Africains. Mais Paris ne tient pas à lâcher sa prunelle. « Premier fournisseur du pays, la France est aussi son deuxième client. En 2007, les échanges commerciaux entre les deux pays s'élevaient à 966 millions d'euros », rappelait il ya quelques jours le Journal du Dimanche. Les compagnies Total ou Aveva y ont constitué un véritable État dans l’État.

On comprend donc pourquoi les différents gouvernements français préfèrent ne pas s’attarder sur les assassinats de leurs citoyens en Afrique. Les exemples ne manquent pas : le journaliste franco-canadien Guy André Kieffer, abattu alors qu’il enquêtait sur la corruption dans le commerce de cacao en Côte d’Ivoire que contrôle le clan du président Laurent Gabagbo, ou le juge Bernard Borrel, atrocement massacré parce qu’il savait trop sur les dérives mafieuses du chef d’État djiboutien Ismael Omar Guelleh. La curiosité n’est pas l’apanage des seuls moines…

L’indignation est à son comble au sein de l’opinion publique africaine qui continue de boire son calice. De Brazzaville à Niamey, de Dakar à Kigali, le ressentiment antifrançais gagne du terrain. Au Tchad, la rébellion armée aurait pu venir à bout du président Idriss Deby si ce n’était le soutien militaire de Paris. En Mauritanie, c’est l’ambassade de France qui fut la cible d’un attentat. Le plus récent et le plus grave incident a eu lieu au Gabon des Bongo Ondimba. Des manifestants révoltés par le résultat des élections ont incendié le consulat français à Port-Gentil et le site du géant pétrolier Total. Autant d’avertissements que Sarkozy devrait prendre en compte. 

Arezki Sadat - Collaborateur/Chroniqueur