Sur la table repose Yakouba, un livre pour enfants, métaphore sur la peur de la différence et la nécessité de l’apprivoisement.

À côté, une variété de thés raffinés. Partout, des plantes. Quelques calligraphies au nom d’Allah côtoient Le Grand Larousse gastronomique et des guides de voyage. On entre dans le bureau de la planificatrice financière Fatima Hadji en se demandant si on est au bon endroit, cédant au cliché voulant que le lieu doive être ordinaire. On n’en ressortira pas tout à fait comme avant.

Fatima Hadji est arrivée à Montréal par amour, pour suivre celui qu’elle venait de rencontrer à Paris. «Le Québec était son rêve, se souvient-elle. Qui étais-je pour l’empêcher de le poursuivre?» Elle lui emboîte le pas avec une demande de résidence permanente. En 2004, le couple s’installe. «On pensait rester deux ans… Mais c’est ce qui arrive, avec Montréal : on n’en repart pas!» Quand son conjoint envisage un retour quatre ans plus tard, elle refuse. «Je sentais que je pouvais offrir un meilleur avenir à mes enfants ici.»

«Il y a une part d’égoïsme dans l’immigration, confie-t-elle néanmoins. Mon père avait presque 80 ans et m’a fait ce cadeau de me dire : “Tu fais le bon choix. Surtout, ne regarde pas en arrière.” Mes parents ont quitté l’Algérie pour la France en 1962. J’ai grandi dans le respect du pays d’accueil, consciente de ma chance.»

Fatima travaillait depuis huit ans dans le secteur commercial et financier quand elle a débarqué à Montréal. Elle est rapidement entrée dans un cabinet-conseil comme réceptionniste, puis est devenue adjointe à la direction tout en suivant des cours de conseil-management afin d’obtenir un DESS. En 2010, en quête de mieux, elle s’est lancée à son compte comme planificatrice financière. «J’ai ciblé une clientèle d’immigrants. À leur arrivée, ils n’épargnent pas; ils dépensent par la force des choses. Ils ont donc un train de retard sur la planification de leur retraite. Les immigrants sont des graines qui ne demandent qu’à pousser. Mon rôle est de m’assurer que le terreau est fertile. Le monde de la finance n’a pas bonne presse, mais on peut y travailler avec amour. C’est mon défi de faire passer ce message.»

Où est-elle chez elle, elle qui «porte dans le dos les drapeaux de la France et de l’Algérie, qu’[elle] le veuille ou non»? «Avec mon nom, je suis une immigrante en France, même si j’y suis née, répond-elle. Avec mon accent, je suis une immigrante ici. Et ça me permet de porter toutes mes couleurs à la fois. C’est ce qui fait la richesse de ce pays : je n’ai pas besoin de me demander qui je suis. Je peux me concentrer sur l’action.»

Son baromètre, ce sont ses enfants, québécois avant tout même s’ils apprécient leurs origines multiples. «Si vous voulez savoir où un immigrant se sent chez lui, demandez-lui où il veut être enterré. Moi, ce sera là où mes enfants seront. Alors, chez moi, c’est probablement ici, bien que mes racines soient ailleurs. L’Algérie est mon pays de sang, la France, mon pays de cœur, et le Canada, le pays où je respire.»

N’y a-t-il jamais eu le moindre tiraillement? «Si, parce que je suis de la génération qui est partie. Mes enfants ne se poseront pas ces questions.» Là où d’autres parlent de génération sacrifiée, Fatima se voit plutôt comme un pont, «à la fois point de départ et ligne d’arrivée». La première année, pourtant, elle a pleuré tous les jours, «les entrailles déchirées». La maxime paternelle d’aller de l’avant l’a tenue debout. «Comprendre que le mieux était ici m’a permis de faire la paix avec cette déchirure.»

De Montréal, elle aime que «le monde entier y vit et que ça se passe bien. On ne vit pas la même peur de l’autre qu’ailleurs». Cette peur «fléau du siècle», à laquelle elle veut préférer l’amour. Un peu comme l’enfant Yakouba a choisi d’apprivoiser plutôt que de craindre.

Une fois par mois, Métro propose, en collaboration avec le projet Alliés Montréal de la Conférence régionale des élus de Montréal (CRÉ), des portraits inspirants de Montréalais issus de l’immigration qui témoignent de leurs parcours et de leurs succès.

L’émission de Radio-Canada International Tam-Tam Canada a produit une version radio de ce reportage. Réalisée par la journaliste Anne-Marie Yvon, cette émission est disponible sur le site de RCI.

Source: Journal Métro - 20 avril 2016

La voix du succès conférence du 16-10-2014

https://www.youtube.com/watch?v=yiNpGGRDGIc