14 ans déjà depuis que Matoub est parti. Il a été cruellement assassiné en plein cœur de Tizi-Ouzou un 25 juin 1998. Les criminels l’ont éliminé au pied de ses montagnes qu’il vénérait depuis sa tendre enfance. Une façon à eux de défier toute une région, tout un peuple, toute une cause. La justice algérienne patauge quant à l’élucidation de ce crime abominable. Advenons qu’elle ait mis la main sur les exécuteurs de ce meurtre, pourrait-elle un jour dévoiler l’identité de ses commanditaires? Encore un crime qui s’ajoute à toute une série de crimes qui ont poignardé l’Algérie dans son âme la plus profonde.

 

Lounès : l’étoile éternelle

Ceux et celles qui ont partagé des moments de soirées d’été  au pied du Djurdjura avec leurs grands-parents comprendraient cette sensation magnifique qu’on pourrait éprouver et ressentir quand on fixe le ciel peuplé d’étoiles et de formes qui donnent libre cour à l’imagination. Il se trouve que ces belles images sont magistralement rendues  par les chants et la voix de Matoub Lounès. Grâce à son verbe, on plonge dans une Kabylie  profonde de nos ancêtres et de nos parents. Il s’exprimait dans une langue claire, soutenue et pleine de métaphores. Des métaphores qui n’ont rien à envier aux plus beaux tableaux des grands peintres de la planète, aux plus grands poètes de tous les siècles. Taqvaylit a toujours été le fil conducteur de son œuvre. Taqvaylit n’est pas seulement le fait de naître en Kabylie et de parler en kabyle. Mouloud Mammeri l’a si bien résumé dans son message à son peuple : « Taqvaylit est un savoir-vivre et un savoir-faire ». Matoub avait les deux. Il était le miroir de la Kabylie. Il était profondément kabyle dans sa vie de tous les jours. Il était la générosité incarnée. Il aimait les siens. Il recevait tous ceux qui souhaiteraient le voir, lui parler et même partager un moment de chant intime chez lui. Son chez lui était amazigh. Le Z amazigh dominait son grand salon. Tout était amazigh en lui et au tour de lui. Sa femme, toute belle et élancée, s’habillait en robe kabyle simple et pratique avant de prendre les clés de la voiture et d’aller faire un tour en voiture seule. Il aimait sa vie, la vie. Il respectait la femme, sa femme et sa liberté et  son être.

Le gentil et le méchant

Le pouvoir algérien a le talent de diaboliser tous ceux et toutes celles qui vont à l’encontre de sa vision extraterrestre de l’Algérie. Il a presque effacé le passé millénaire du pays, détruit même la mémoire récente de la révolution. Et comme ce n’était pas assez, il a mené une guerre sans merci contre la génération de l’après indépendance qui refusent ses postulats et l’identité qu’il lui impose. Il a transformé le paysage sociologique et culturel algérien en ‘’Michael Jackson’’. Ce dernier, refusant de s’accepter en tant que noir, le bistouri l’a transformé en monstre. L’État jacobin a fait la même chose à la mémoire collective des Algériens et Algériennes. Cependant, comme il y a des Afro-américains qui se sont assumés en tant que noirs, il y a aussi des Algériens qui se sont assumés en tant qu’Amazighs. Ni l’arabisation, ni l’islamisme, ni la répression et ni l’école  n’ont  réussi à faire plier la Kabylie. Celle-ci a toujours hanté les tenants du pouvoir depuis l’indépendance pour ne pas dire bien avant. Elle résiste à toutes les tempêtes et elle en avait vues. Matoub Lounès a fait partie de ce processus de résistance au prix de sa vie. Le pouvoir l’a dénigré, Sali, mais sa Kabylie l’a adoré. Un Algérien arabophone s’est confessé récemment : «  Sincèrement, l’image que j’aie de Matoub est négative comparativement à celle que j’aie de Ait Menguellet, mais maintenant, je commence à découvrir l’homme et le génie de l’artiste qui est en lui ». Il n’est jamais trop tard pour se remettre en cause et surtout remettre en cause les préjugés et les clichés véhiculés par la politique officielle d’Alger. Cette fois-ci, c’est un Kabyle de Azzefoun qui déverse sa colère : « Avant j’aimais Matoub, mais depuis qu’il s’est attaqué à l’islam, je l’ai classé ». Encore de la désinformation dont a été victime Matoub. Il avait dit ceci : « Je suis amazigh et je ne suis pas obligé d’être musulman ». Il n’y a aucune attaque contre la religion. Matoub dénonçait les islamistes et non pas les musulmans. D’où toute la nuance. Aussi, la raison pour laquelle il avait tenu ces propos est pour dissocier l’identité de la religion et de prôner la liberté de culte. De quel droit associe-t-on l’Islam à l’arabité en Afrique du Nord? De quel droit étouffe-t-on les autres croyances qui existaient sur cette terre bien avant l’Islam ? Ne pourrait-on pas être amazigh et musulman? Les Iraniens sont musulmans, mais ils ont gardé leur langue, leur identité et leur civilisation. Pourquoi ne serait-il pas le cas pour les Amazighs?  Tel est donc le message de Matoub. Il a rejeté la politique de l’ordre établi. Il voulait une Algérie algérienne. Il n’était ni raciste, ni méchant. Il était juste lui-même fier de son identité et de sa civilisation. Ceci étant dit, il y a d’autres Kabyles qui l’aiment et qui ont bien saisi son cri de l’âme : « Matoub est une montagne, ce serait très dur de le remplacer », dira l’artiste Rezki Grim

L’âme de Matoub est toujours là!

Les assassins ont réussi à neutraliser le corps d’un homme, mais jamais son esprit et ses idées. Elles sont portées par des millions d’Amazighs dans toute l’Afrique du Nord. Tôt ou tard, son combat, ses rêves et ses aspirations qui sont celles de son peuple auront gain de cause, car ils sont légitimes. Comme dirait un dicton très cher aux Algériens : « Il ne reste dans la rivière que ses cailloux ou ses pierres »’. Matoub n’a jamais négocié sa mère. Le Djurdjura non plus. À méditer….