Dans un entretien qu’il a accordé à La Croix, Yasmina Khadra parle au nom de tous les Algériens comme s’il avait été mandaté pour exprimer le sentiment des Algériens à l’égard des pieds-noirs. Il dit en substance : «Pour moi, cela ne fait aucun doute, l’Algérie, qui est mon pays, est aussi le pays des pieds-noirs. Chaque pied-noir, pour moi, est un Algérien, et je ne dirais jamais le contraire. Nous reste en mémoire, Français et Algériens, ces amitiés déchirées, ces voisinages dépeuplés…». En fait, le lecteur de cet entretien ne sait pas qui parle au juste, le directeur du Centre culturel algérien à Paris, qui a un statut d’ambassadeur, ou le romancier. C’est cet amalgame qui pose problème. Si c’est le romancier, il a évidemment tous les droits de s’exprimer selon sa conscience et ses convictions sans que cela puisse poser problème à quiconque reconnaît et respecte la liberté d’expression. Cependant, le romancier n’a aucun droit de parler au nom des Algériens car chaque Algérien à sa propre opinion sur le sujet qu’il a abordé. S’il s’exprime en sa qualité d’ambassadeur, Yasmina Khadra engage alors l’Etat algérien et exprime la position officielle de l’Algérie à l’égard des pieds-noirs. Il est du droit de tout Algérien d’interpeller les institutions officielles, notamment le ministère des Affaires étrangères dont dépend le directeur du CCA à Paris et néanmoins ambassadeur avec statut de diplomate. Yasmina ajoute dans son entretien : «Algériens et Français, nous voulons lutter contre les traumatismes historiques. Et ce n’est pas facile. Je le dis clairement, on ne peut ramener la colonisation à celle des colons militaires… C’est oublier les "petites gens" que nous les Algériens nous aimions, le petit peuple des Français, des Italiens, des Espagnols, des Juifs, avec qui l’on vivait au quotidien.

Nous avons la nostalgie du vivre-ensemble. Les injustices étaient là, valables pour les uns comme pour les autres. Nous vivions si proches.» Ainsi donc le diplomate algérien a décidé d’innocenter tous les colons qu’il «aime», comme si ces colons, si gentils fussent-ils, n’étaient pas complices d’un projet colonial d’acculturation, d’asservissement et d’avilissement pour les indigènes que furent les Algériens. Dans sa réaction à la pétition engagée contre la caravane célébrant Camus, Yasmina Khadra soustrait la littérature et la culture de la politique. Dans cet entretien philanthropique, il soustrait l’instrument de l’œuvre coloniale qu’étaient les caravanes de colons qui ont dépossédé les Algériens de leurs biens, de leur terre, de leur patrie, de toute responsabilité politique. Parmi les descendants des colons, des femmes et des hommes qui étaient français à part entière, ont eu le courage moral et politique de choisir le camp des opprimés pour les soutenir dans leur combat contre l’occupation coloniale et ses conséquences sociales, économiques, culturelles et politiques. Parmi ces femmes et hommes de principe, certains ont choisi d’être Algériens et ils le sont autant que tous les Algériens de souche. Mais la générosité de Yasmina Khadra frise la niaiserie dans la mesure où il considère la nationalité algérienne comme un objet de charité qu’il distribue y compris à ceux qui ne demandent rien. Pourtant, dans la dernière partie de son entretien, il a évoqué des thèmes intéressants tant au plan humain qu’esthétique pour être des sujets de romans. Qu’il garde alors son costume de romancier et qu’il cesse de parler au nom de tous les Algériens sur des questions trop sensibles.

Source: La Tribune - Edition du 21 mars 2010