Cela fait 61 ans que ça dure. Les souffrances des centaines de milliers de Palestiniens, qui ne connaissent que la vie dans des camps, ont cessé d’émouvoir. Malgré l’indifférence de la communauté internationale, l’éventualité d’un retour sur leurs terres spoliées ne les a jamais quittés. C’est du reste un point d’achoppement majeur dans les négociations de paix au Proche-Orient.

 

À peine trois ans après la fermeture des camps d’extermination des Juifs d’Auschwitz et Buchenwald, un autre peuple, également sémite, est forcé de suivre le chemin de l’exode. C’est le début de la Nakba , aussi appelée la Catastrophe. C ’est uniquement par ce mot que décrivent les Palestiniens le jour de la création de l’État d’Israël en 1948 qui devait donner naissance à l’un des conflits les plus épineux de notre temps.

 

Expulser autant d’Arabes que possible

Ces jours-ci, les Palestiniens ont commémoré le 61ème anniversaire de la Nakba. Des rassemblements et de manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes et villages de l’Autonomie palestinienne. Des conférences se sont tenues dans différentes métropoles occidentales, notamment à Montréal. 

Nul ne peut dire combien de Palestiniens vivent dans des camps d’infortune éparpillés à travers le Monde arabe, sans compter ceux qui ont opté pour l’exode en Europe, en Amérique du Nord ou en Australie. Certains camps sont quasiment des villes, comme le camp de Borj el-Barajneh, dans la périphérie de Beyrouth.

 

Nombre d’historiens israéliens ont reconnu que d’effroyables persécutions ont été à l’origine de la Nakba , ce qui est souligné à travers le travail de Dominique Vidal et Joseph Algazy rassemblé dans l’ouvrage impressionnant Le péché originel d’Israël. L’expulsion des Palestiniens revisitée par les « nouveaux historiens » israéliens.  Les auteurs du livre se réfèrent à des historiens de premier plan comme Tom Segev, Shabtai Teveth, Jon et David Klimche, Ilan Pappé ou Benny Morris, l’auteur du poignant document The Birth of the Palestinian Refugee Problem.

Ces historiens ont une caractéristique en commun : ils ont tous reconnu que l’exode de milliers de Palestiniens a fait suite à une vague de massacres survenus entre 1947 et 1949 et planifiés par des groupuscules terroristes tels la Hagana , l’Irgoun el le Lehi. Ce dernier groupe a notamment été responsable de l’assassinat du médiateur des Nations unies, le comte suédois Folke Bernadotte, un diplomate issu d’une famille aristocratique française.

Les terribles pogroms de Lydda et Deir Yassin furent les points culminants de l’horreur sioniste. Il fallait à tout prix terroriser les populations locales afin de les expulser manu militari. « Ce problème devra attendre encore une étude plus globale et plus honnête, digne de la grande tragédie humaine et nationale qu’il constitue », écrivit en 1990 S. Teveth dans la revue Middle Eastern Studies.  

 

Silence papal et timidité occidentale

La question du retour des réfugiés constitue, avec le futur statut de Jérusalem, l’enjeu le plus important dans les tractations arabo-israéliennes. L’on se rappelle que le leader palestinien Yasser Arafat a été soumis à d’intenses pressions lors du sommet de Wye River en octobre 1998 avec Ehud Barak. La rencontre était chapeautée par le président américain de l’époque, Bill Clinton. Jusqu’à sa mort, Arafat allait devenir, aux yeux de la coalition américano-israélienne, un paria. Le Prix Nobel de la paix sera enfermé dans son quartier général de la Mouqataa , à Ramallah, un ancien fort britannique assiégé par les blindés de Tsahal. Malgré tout leur zèle, ses détracteurs n’ont pas réussi à fléchir la position du dirigeant au célèbre keffieh dans le dossier des réfugiés.

 

À la mort d’Arafat, celui qui était partant pour le remplacer à la tête de l’Autonomie, le très charismatique Marwan Barghouti, a été placé en prison. Il s’y trouve encore. Pourtant, ils sont nombreux les intellectuels juifs qui reconnaissent en lui un homme de paix capable de mener à bien de sérieuses négociations pour un futur État palestinien. Outre son charisme, son cursus universitaire lui confère une véritable autorité : Il est détenteur d’une maîtrise en histoire, d’une autre en sciences politiques, ainsi que d'un diplôme de troisième cycle en relations internationales.

Mais, à Tel-Aviv, la gestion du problème israélo-palestinien se résume à un véritable cavalier seul. Depuis un certain temps, la diplomatie israélienne est dirigée par le faucon Avigdor Lieberman, un adepte de la purification ethnique. D'ailleurs, la colonisation juive dans les environs de Jérusalem n’a jamais cessé en dépit des critiques timides des alliés attitrés du gouvernement israélien. Les bulldozers n’ont jamais arrêté leurs moteurs dans la partie orientale de la ville des trois religions. Les al-Kurd, une vieille famille palestinienne expulsée de son quartier de Cheikh Jarrah, sont les nouveaux visages de la Nakba qui se poursuit.

Comment comprendre les appels du pape aux jeunes Palestiniens, incités à « ne pas succomber à la tentation de la violence »? A-t-on vraiment le choix quand on perd sa terre et sa maison?  Cette année, l’anniversaire de l’exode de centaines de milliers de Palestiniens revêt une toute autre symbolique. En effet, le pape Benoît XVI a séjourné au Proche-Orient. Le souverain pontife a visité les lieux les plus marquants de Palestine à l’exception de la bande de Gaza. Les autorités israéliennes ne lui ont pas délivré l’autorisation de passer quelques heures dans cette prison à ciel ouvert qu’est devenue Gaza.

Les médias ont tout de même noté le cri de désespoir du Cheikh Tayssir al-Tamimi, le chef des tribunaux islamiques palestiniens, qui lors d’une rencontre interreligieuse à Jérusalem, s’est carrément emparé du micro, pour demander au pape de faire «pression sur le gouvernement israélien pour qu’il stoppe son agression contre le peuple palestinien». Il parait que le Bavarois a fait volte-face. Mais pouvait-il en être autrement ?

Arezki Sadat