C’est le sujet du moment : la grippe mexicaine ou porcine, baptisée depuis grippe A pour les besoins du politically correct et par souci de protéger le marché de l’élevage du porc. C’est également une grippe qui m’a incité à rendre visite à mon médecin. Plus de peur que de mal, la mienne n’était que saisonnière.

Il est étonnant de voir les découvertes qu’on peut faire dans un cabinet médical. D’abord, je suis tombé sur un compatriote revenu récemment d’Algérie et sur sa décision de rentrer définitivement au bled. Dans son compte-rendu de la situation au pays, le mot « anarchie » est revenu moult fois. Une certaine amertume, conséquence inavouée des élections du mois passé, s’est ressentie dans ses paroles. Sitôt ma connaissance partie, je me suis réfugié dans l’amas de journaux et de revues placés en face de moi, une rare courtoisie du cabinet médical. À ce moment, je ne me doutais nullement du trésor que peuvent contenir des publications datant d’il y a quelques années.

Moi qui étais à la recherche d’informations sur la saga de ces sept clandestins maghrébins qui ont fait la traversée de l’Atlantique cachés dans la cale d’un cargo battant pavillon suédois et parti du port belge d’Anvers et que des douaniers canadiens ont eu la surprise de voir à Halifax, je fis une découverte d’un tout autre genre. Dans la revue « L’actualité » du 15 novembre 2003, c’est une interview du héros du week-end passé qui m’attendait : Michael Ignatieff, le nouveau leader du Parti Libéral Canadien du temps où il était plus identifié à l’intelligentsia de la côte est américaine. Fascinante rétrospective!

Deux réponses de celui qu’on présente déjà comme l’ « Obama canadien » ont retenu mon attention. À une question du journaliste québécois relative à la théorie de « l’empire bienveillant » chère au géopoliticien américain Robert Kagan, Ignatieff dit ceci : « Les Américains ont des intentions louables à l’égard de l’Irak, mais elles se heurtent aux souhaits des Irakiens et à leur droit de souveraineté populaire. » Encore un peu et on penserait que ce sont les Irakiens qui ont envahi les États-Unis. Et que les scènes de la prison d’Abou Ghraib et le massacre de Haditha ne seraient qu’un cauchemar collectif, le fruit de notre imagination.

Plus loin dans l’entretien, le professeur de l’Université Harvard fustige la position française vis-à-vis de l’intervention américaine en Irak. Les termes sont virulents : « Je ne suis pas opposé au fait que la France ait sa propre politique étrangère. Je trouve simplement qu’on ne devrait pas avoir le droit d’en avoir une aussi stupide. Elle est à l’image de Dominique de Villepin, qui, aux réunions du Conseil de sécurité, en janvier 2003, a fait la leçon à Colin Powell à propos des « horreurs de la guerre ». De grâce! Colin Powell a été en service trois fois au Viêt Nam, personne ne peut lui en remontrer au sujet de la guerre. »
Quand on se rappelle les balivernes qu’a distillées le vieux routier de la diplomatie américaine, un peu malgré lui, au sujet des soi-disant armes de destruction massive de Saddam Hussein, on ne peut s’empêcher de se demander si les propos d’Ignatieff sont des signes prémonitoires ou juste les élucubrations d’un intellectuel.

Certes, nombreux sont ceux qui, au lendemain de l’intronisation officielle à la tête du PLC, ce dernier week-end, du petit-fils de Russes blancs, se félicitent déjà du retour annoncé du bipartisme au Canada. Mais de là à utiliser l’appellation « Obama canadien », il y a un pas que je n’oserai pas franchir. L’actuel président américain n’a jamais été un partisan de la guerre en Irak, à l’inverse de Michael Ignatieff. Ce dernier ne fait pas un mystère de son tropisme pour la bannière étoilée.
Comme les récents sondages le prédisent, l’épisode bleu devrait prendre fin dès la première élection, même si la formation de Stephen Harper tente tant bien que mal de courtiser les immigrants du Québec considérés comme étant facilement influençables. À fortiori, vu l’entêtement des conservateurs à forcer des décisions impopulaires, le tsunami Ignatieff risque de prendre tout sur son passage.

La politique de l’emploi étant la chasse gardée des gouvernements provinciaux, c’est la politique étrangère qui devrait être le prisme par lequel on devrait scruter l’action du futur premier ministre canadien. Va-t-on donc assister à un virage dans la diplomatie canadienne? Ignatieff va-t-il s’avérer le messie qu’attendent certains? Je crains bien que non. Il est acquis qu’il devra composer avec les poids lourds de l’ère Paul Martin, une époque où le Canada rejetait déjà toute résolution de l’ONU jugée favorable aux Palestiniens. Rien qu’à se rappeler que Maher Arar s’est vu offrir une « excursion  forcée » dans les geôles syriennes, alors que les libéraux étaient au pouvoir à Ottawa, on devrait corriger les opinions les plus optimistes.

Le plus triste est qu’entre le marteau conservateur et l’enclume libérale, on ne voit pas émerger une troisième option. Le Nouveau parti démocratique a du mal à franchir le cap ô combien salutaire des 15% de voix. Il ne nous reste donc qu’à attendre les premières décisions du futur premier ministre Michael Ignatieff. Osons espérer que, d’ici la prochaine grippe, nos inquiétudes se seront dissipées.    

Arezki Sadat - Chroniqueur