Qui n’a pas entendu parler des péripéties de la désormais ex-Garde des Sceaux de la République française Rachida Dati? Il y a encore quelques mois, cette brune issue d’un couple algéro-marocain était encensée par les sympathisants de la France blanc-bleu-beur. Présentée comme le symbole de la réussite de l’immigration du sud, plus précisément du Maghreb, elle avait ses entrées partout. Le président Nicolas Sarkozy lui confia même l’un des portefeuilles les plus prestigieux : celui de la justice.

 

On avait oublié le passage remarqué de Azouz Begag, ce fils d’ouvriers agricoles sétifiens qui a grandi dans un bidonville de la région lyonnaise, devenu ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé de la Promotion de l'égalité des chances. Pourtant, les années passées à la tête de ce ministère sont restées dans les mémoires, puisque Begag s’est confronté au duo Sarkozy-Brice Hortefeux en plein délire xénophobe, fustigeant leurs propos du genre « racaille » et « le mouton dans la baignoire ».

Belle-amie pour vous servir
La nomination de Dati paraissait être un geste fort, censé marquer la rupture avec l’ère Chirac et promouvoir la diversité, pensait-on. Au bout de quelques mois, la bulle a finalement pété. Celle qui, à l’inverse de ses consoeurs issues de l’immigration africaine la Kabyle Fadela Amara et la Sénégalaise Rama Yade, a cautionné toutes les décisions de la machine Sarkozy, y compris les tests ADN, s’est révélée être une grossière erreur, voire une supercherie. D’abord, elle a défrayé la chronique en raison d’un diplôme falsifié. Puis, ses limites s’affichèrent au grand jour : incapable de gérer des dossiers consistants, elle fut finalement déposée de son piédestal de ministre. Une étoile filante dans le paysage politique français. Aujourd’hui, elle a même du mal à dévoiler le nom du père de son enfant.
Dans un livre qu’il lui a consacrée, publié récemment sous le titre « Belle-amie », Michaël Darmon dresse un portrait au vitriole de l’ex-ministre. « Elle n’a pas de capacité de travail et de concentration sur les dossiers. Son énergie est entièrement tournée vers sa promotion », accuse le journaliste. C’est l’une des thèses les moins outrancières dans le livre qui ne manque pas de piquant. « Elle faisait du rentre dedans à tout le monde », confirme un responsable du Parti Socialiste qu’elle avait sollicité pour un coup de main.

Rachida Dati, c’est aussi l’échec de tout un système. Elle a pu s’imposer en faisant des mains et des pieds (et pas seulement…), alors que des doutes existaient quant à ses compétences. Elle arriva à ses fins grâce à la protection de l’ancien premier ministre Dominique de Villepin et surtout d’un poids lourd de la droite au pouvoir, en l’occurrence Simone Veil, ex-ministre de la Santé, première femme à présider le Parlement européen et membre de l’Académie française (excusez du peu!). Celle-ci était même au courant du fameux faux diplôme.
La majorité des Maghrébins de France s’est rapidement rendue à l’évidence que Dati n’est pas apte à faire avancer la cause beure. Ainsi, le Club XXIe siècle, regroupant l’élite originaire du Maghreb et de l’Afrique sub-saharienne, s’est dissocié d’elle, en s’opposant à ses velléités de vouloir transformer l’association en une officine du système Sarko.  

Une cible toute désignée
De ce côté-là de l’Atlantique, on a tendance aux célébrations de la féminité. Les efforts d’arriver à une réelle parité dans le monde du travail sont compréhensibles. Mais de là à permettre des dérives du genre que celle dont nous sommes témoins depuis quelques années, il me semble que c’est un pas qu’il faut dénoncer.
Ainsi, aux Maghrébins de sexe masculin sont attribuées les tares les plus graves : nous sommes méchants, aigris, violents, agressifs et j’en passe! Si l’on croit une partie des intervenantes en emploi amatrices de diatribes choc, nous serions venus d’une toute autre planète que nos concitoyennes d’Algérie et du Maroc. 

Ces spécialistes (de quoi? J’ai carrément oublié…) ont également trouvé la recette miracle pour nous rendre heureux au Québec: nous n’avons qu’à nous convertir aux bienfaits du réseautage. Rien que ça? Qu’en est-il au juste de ces réseaux tant « vendus »? À voir de près, on se rend compte que ces pratiques sont à la source des problèmes que vit la communauté maghrébine, et par extension les minorités visibles, donc aussi bien le Tamoul de Côte-des-Neiges que l’Afghan habitant la rive sud de Montréal. Car, ce ne sont pas les seuls Maghrébins parfaits francophones qui trinquent, mais également des milliers d’immigrants possédant ou non des lacunes dans la langue de Voltaire.

Les « réseaux » ne sont sûrement pas la panacée contre le cauchemar des exilés que nous sommes, mais un problème sur lequel les pouvoirs publics devraient se pencher illico presto. Il est inconcevable que des dynasties détiennent une influence aussi considérable sur la vie sociale, à commencer par les médias publics. On ne le dira jamais assez : c’est l’élément clé dans l’ostracisme que subissent certaines communautés au Québec.
Par leur arrogance et leur caractère de cercles fermés, ces réseaux ne jouent pas le jeu de la diversité. Combien de candidats à un emploi de qualité peuvent compter sur les bienfaits du réseautage : 10, 20, peut-être 50…? Mais des centaines d’autres seront voués à la précarité à cause de ces mêmes réseaux. Quand le chômage est structurel au sein d’une communauté, ce n’est pas en bricolant qu’on pourra atténuer les souffrances de ceux qu’on a laissés la touche. Et n’allez surtout pas leur parler de sentiment d’appartenance!

La récente étude de l’Institut de recherche en politiques publiques ne devrait pas renforcer les fameux réseaux, notamment par l’octroi de plus de pouvoir et de fonds aux associations communautaires. C’est du déjà-vu. Des sociologues, à l’instar de Jean Renaud de l’Université de Montréal, ont une vision différente des problèmes de l’immigration maghrébine. Ils pointent du doigt les réticences des employeurs à recruter au sein d’un bassin d’employés potentiels francophones et qualifiés. Toutefois, je me demande quel genre d’incitatifs devrait-on envisager, étant donné qu’une ex-ministre chargée de ce dossier a reconnu la pertinence de mesures coercitives. C’était il y a plus de trois ans.

Les stéréotypes tiennent bon
Émigrer demeure un projet individuel qui n’a rien de spontané. Le Canadien d’origine maghrébine doit assumer ses choix. Ses compétences lui donnent d’autres cartes entre les mains. À voir le nombre de ceux qui se décident à un retour au pays d’origine, où les conditions ne sont plus ce qu’elles étaient il y a 5-6 ans, je me demande qui est le plus grand perdant : le Québec ou ses communautés culturelles? D’ailleurs, les problèmes de rétention de Montréal commencent à devenir inquiétants. En témoigne la fulgurante popularité du groupe virtuel « Alger-Montréal », regroupant sur Facebook des Algériens qui sont retournés en Algérie ou qui ont l’intention de s’y établir. Surtout quand le pays est à l’abri de calamités.

Il est aberrant de voir qu’un joli sourire constitue une plus grande garantie de décrocher un emploi de choix qu’un diplôme d’une université aussi réputée soit-elle. Assurément, Albert Einstein avec son allure de soixante-huitard avant l’heure n’aurait aucune chance de rivaliser avec une Paris Hilton! C’est le sentiment que j’ai à chaque fois que j’entends les opinions décrivant les Maghrébins comme étant en déphasage par rapport à leurs concitoyennes et à une certaine réalité québécoise. Le cadre Maghrébins vs. Maghrébines est lui-même une aberration.

Personne ne s’est fatigué pour nous expliquer la réussite de centaines de personnes qui ont quitté notre province pour l’Alberta ou l’Ontario. Et ces Algériens qui ont connu la prospérité en Alaska, ont-ils changé de sexe entre-temps? Jeter l’opprobre sur toute une population, dans ce cas-ci la gent masculine, c’est faire preuve de méconnaissance à l’égard d’un peuple qui a enfanté Mouloud Feraoun, Farid Chopel ou Omar Aktouf. Ce n’est certainement pas une opinion fortuite.
Les préjugés, qui régulièrement font leur apparition dans des études consacrées à un thème aussi porteur que la discrimination des Maghrébins au Québec, sont dangereux. Non seulement ils confortent une situation anormale et injuste, mais sèment la zizanie dans une communauté, dont l’une des valeurs sures reste sa cohésion.

L’épisode Dati a surtout montré les limites d’un discours qui a privilégié la médiocrité. Est-ce parce qu’une telle candidate est plus malléable? Elle qui n’a ni la carrure ni l’intellect d’un Zbigniew Brzezinski. Et Dieu sait combien ce dernier a fait avancer les « affaires » de son pays d’origine et de la diaspora polonaise en Amérique du Nord.
Parler du cas Dati, c’est rendre justice aux Begag, Yazid Sabeg, Kamel Ouali, Idir, Karim Benzema et autres Djamel Debbouze qui font la France d’aujourd’hui. C’est aussi reconnaître les mérites de tous ces médecins, ingénieurs, hommes de lettres, ouvriers ou sportifs maghrébins, anonymes ou connus.