Telle une bombe, la décision d’interdire à l’ancienne star du football algérien Lakhdar Belloumi de fouler le sol canadien a suscité une onde de choc au sein de la communauté algérienne.

 Beaucoup d’amoureux du ballon rond et des couleurs nationales, qui se préparaient à fêter la venue de leur idole comme il se doit, n’ont pas caché leur amertume. Ils tenaient tant à faire la fête avec un illustre compatriote, histoire peut-être d’oublier le chômage endémique et la distance qui les sépare du pays. 

L’ancien numéro 10 de la sélection algérienne n’est pas le premier Algérien à faire les frais d’une décision des autorités canadiennes aussi gênante qu’injustifiée. Par le passé, l’écrivain Yasmina Khadra a pu goûter aux méthodes brusques et expéditives de la bureaucratie nord-américaine.  Mais rien ne rapproche les deux affaires. Si le second a été un acteur de la sale guerre, Belloumi, lui, n’a rien d’un stratège militaire.
Le populaire Lakhdar vient de sortir d’une terrible épreuve suite aux accusations (à tort, il faut le mentionner) du médecin de l’équipe nationale d’Égypte qui a perdu un œil lors des incidents qui ont émaillé le match entre les deux sélections en 1989. On pensait que sa traversée du désert était terminée après la levée de la plainte par la victime, le Dr Ahmed Abdelmoumen Ahmed Abdelhadi. C’était sans compter avec l’excès de zèle de nos bureaucrates.

Il y a lieu de se demander qui sera leur prochaine victime. Le très décrié Cheb Mami? Le seul skieur algérien qui s’apprête à participer aux Jeux Olympiques de Vancouver? Un journaliste algérien sur la route de harragas? Remarquez que cette mini-liste ne contient pas de politiciens. Les frontières ne sont pas pour eux, surtout les grosses gueules qui sont venues haranguer les foules lors de la campagne électorale à sens unique que nous avons connue récemment.
Ceci dit, si aujourd’hui les mouvements de nos compatriotes dépendent des desiderata d’un obscur employé de bureau, la faute incombe aussi à l’État algérien. A-t-on vu Alger réagir à une quelconque décision frappant ses citoyens? Pourtant, les moyens de pression ne manquent pas. La balance commerciale entre le Canada et l’Algérie est de loin favorable au pays à la feuille d’érable. Ses firmes ont empoché des centaines de millions de dollars à l’occasion de la construction du Maqam Chahid (Sanctuaire du Martyr), l’imposant monument qui surplombe Alger. Même Nortel, une compagnie en totale déliquescence, vient de bénéficier d’un mirobolant contrat. Alors, comment expliquer que le chouchou du régime qu’est Belloumi n’ait pu bénéficier d’un coup de pouce? Une leçon pour les anciennes vedettes qu’on voit régulièrement graviter autour des notables du sérail.    

Le destin de certaines stars du foot algérien est bien étrange. L’exemple d’Ighil Meziane est le plus édifiant. Les moins jeunes se rappellent certainement la silhouette du coriace défenseur du NAHD, longtemps inamovible arrière gauche de la sélection algérienne du temps des Betrouni, Safsafi et Belkedrouci, avant l’éclosion du talent du tandem Kouici-Larbes. Il a été un tireur (d’élite!) de penalties. Il fut également coach de l’équipe nationale.
C’est là que s’arrête abruptement son magnifique CV. La suite, c’est un terrible calvaire. Ighil Meziane est l’une des rares personnes incarcérées dans l’affaire Khalifa. Il a appris le décès de son père, alors qu’il purgeait sa peine dans une prison algérienne. Aux dernières nouvelles, il reste debout l’enfant d’Agraradj, un village de Grande-Kabylie qui a donné à l’Algérie les frères Abdoun, les seuls Algériens qui se sont échappés du bagne de Cayenne pour rejoindre la résistance en Algérie et y mourir.

Plus rageant dans cette histoire demeure le fait que ceux qui ont joué les premiers rôles dans la tristement célèbre « affaire Khalifa » jouissent toujours de l’impunité, voire d’une certaine aura auprès des pouvoirs publics, à l’instar de l’animateur télé Maâmar Djebbour. Sa famille, l’une des plus voraces et des plus puissantes en Algérie, a été au coeur des deux plus grandes affaires dans l’histoire de la République : « Khalifa » et  « Idoine ». Les dégâts causés se comptent en millions.
Au moment où des criminels bénéficient des largesses de l’État, la famille d’un Algérien, qui a longtemps et dignement porté les couleurs nationales, vit un cauchemar. Il est vrai que l’amnistie et la mansuétude sont réservées aux vrais criminels.

 

Arezki Sadat