De la classe, du talent et de l'engagement
Waw!

Il y a des ces moments artistiques qu'on n'oublie pas de si tôt. En effet, cette soirée du 12 avril 2008, à la salle Le château de Montréal, a été rehaussée par deux grands artistes de la chanson kabyle qui sont venus spécialement d'Algérie pour commémorer le 28ème anniversaire du printemps berbère. Ils ont été à la hauteur de l'évènement et des attentes d'un public connaisseur et combien même discipliné.

Le spectacle a commencé par une minute de silence à la mémoire de toutes les victimes du printemps de 80 et du printemps noir de Kabylie notamment.

La nouvelle troupe Numydia, encadrée par la charmante et dynamique Mekioussa Kebab a marqué ce 28ème anniversaire du printemps berbère par des chorégraphies sobres et solennelles inspirées des chanteurs du feu Matoub Lounès. Dans ses deux chansons '' Yahzen Oued Aissi'' et ''Waka m d idisewlen'', Matoub signe et persiste que Tamazight doit être au cœur de l'éducation de nos enfants pour assurer la relève digne de tous les sacrifices consentis par des femmes et des hommes amazighs pour que leur identité demeure la colonne vertébrale de leur existence en tant que peuple fier et souverain. Les filles de Numydia, Lynda, Lydia,Sonia Behtani, Ludmila Kebab, Mersel Fella, Mélissa Feddak,, âgées de 15 à 17 ans, ont incarné magistralement la douleur de la mémoire collective d'un peuple malmenée par les oppressions des pouvoirs politico-militaires et aussi par les trahisons multiples des Kabyles de service. C'était très beau de voir leurs parents, Kebab,Behtani Djelloul, Mersel et Feddak les accompagner, les filmer et les soutenir dans cette noble entreprise qui est de représenter les couleurs profonde de la Kabylie.

Dans le même ordre d'idée, un vibrant hommage a été rendu au grand écrivain, animateur de radio et pédagogue feu Rachid Alliche qui nous a quittés récemment. Toute la salle s'est mise debout pour applaudir la contribution d'un génie. L'artiste et animateur Mdjahed Hamid, lors de mon échange avec lui sur le défunt, a si bien résumé le portrait d'un homme pas comme les autres : « Rachid est un grand Ami que j'ai toujours respecté pour son sérieux. En ce qui concerne sa contribution à la chaîne II, il a beaucoup fait pour nos enfants dans le domaine de l'apprentissage de la langue Kabyle d'une manière pédagogique et traditionnelle. Aussi, il reste le précurseur des cours magistraux de la langue Amazighe qu'il a donnés à la Radio. Je le considère comme une Elite, un intellectuel » .

Après l'excellente prestation de la troupe de danse Numydia, c'est au tour du jeune Fouad Yalaoui de faire vibrer la salle par quelques chansons style Takfarinas. Les organisateurs du KSP, Mouloud Kacher, Mourad Itim et Said Lahcène, ont tenu à donner la chance aux talents berbères de Montréal de se faire connaître. Cette artiste a su saisir cette opportunité pour se faire connaître et apprécier par le public en l'espace d'une vingtaine de minutes. Un pari réussi. Enfin arrive le moment tant attendu par le public : l'entrée en scène des artistes qui ont marqué le paysage artistique algérien.


Le premier c'est Boudjema Agraw. Il entre sur scène et annonce l'essentiel du message véhiculé par ses chansons : " Vous allez écouter des chansons politico-sociales " , dira-t-il au public avec beaucoup de modestie. Modeste, il l'est cet artiste engagé dans la cause d'un peuple rongé par toutes sortes de corruptions. Il a dénoncé la pauvreté et les écarts entre les classes sociales qui ne cessent de s'amplifier. En reprenant la musique du domaine public de la chanson El Assima de Mescoud, il a écrit et chanté un texte sur l'opulence des habitants de Hydra, ce quartier chic d'Alger qui symbolise un monde parallèle d'une Algérie matérialiste et indifférente aux drames des autres couches sociales qui la composent. Il a également rendu hommage aux habitants d'El Harrach qui sont très affectés par la crise économique. Les bourgeois de Hydra ont tout, les autres presque rien. Aussi, Boudjema n'a pas omis de rappeler à son auditoire l'importance de scander l'identité amazighe partout et tout le temps.Pour souligner cela, il a chanté la chanson de Matoub dans laquelle il dénonçait le gendarme qui l'avait criblé de balle en 1988 en Kabylie. À l'issue d'un contenu engagé et très à gauche, Boudjema a souligné que : « Avant d'être amazighs, nous sommes d'abord des êtres humains avec nos peines, nos rêves et cette envie de faire la fête » . Il a donc chanté une chanson rythmée pour faire oublier au public, le temps d'un spectacle, les soucis du quotidien.

 

Le deuxième, c'est Ali Idefalwen. Il a été présenté brièvement par son parolier Lhacène Ziani. Avec sa guitare à la main, Ali entre sur scène avec un sourire et une assurance qui en dit long sur le parcours professionnel de l'artiste. Une bonne partie de son répertoire a fait le bonheur du public connaisseur et nostalgique. Les thèmes comme la langue amazighe, les injustices politico-sociales, la vie et l'amour sont passés au crible. La femme a été à l'honneur grâce à la brillante et légendaire chanson écrite par Lhacène Ziani et magistralement interprétée par Ali '' Tilemzit '', la Femme. Deux hommes ont su dressé un tableau presque réel du voyage de vie de la femme kabyle. De sa tendre enfance à son âge avancé, la femme kabyle doit faire passer les valeurs ancestrales avant ses rêves de femme. Elle porte le fardeau de l'honneur, de l'éducation et même celui des soucis économiques pour maintenir le foyer debout et par ricochet le destin de tout un peuple. Elle est en fait comme dirait feu Slimane Azem, le pilier de la maison berbère. Toute une responsabilité qui l'attend avant même sa naissance. En effet, dès qu'elle vient au monde, on la prépare à cette tâche ardue sans se soucier de ce qu'elle veut elle ou de ses droits fondamentaux d'être humain et surtout de femme. Ali a aussi rendu hommage au chanteur Ferhat en interprétant Berouaguia, cette fameuse prison algérienne qui a pris les belles années de la jeunesse militante berbère. Vers la fin, la voix de Ideflawen a bercé l'assistance avec la chanson chaabi de Hssissen '' Ya tir El qafs ''. Ce genre musical d'Alger était un très beau voyage dans l'âme des artistes comme El Anka, Ammar Ezzahi et tant d'autres qui ont chanté en arabe populaire algérois et en berbère le cri d'un peuple qui aspire à un monde meilleur.

La conclusion de la soirée a été émouvante. Tous les artistes Ali, Boudjemaa, Fouad Yalaoui et les musiciens Samir et Farid Harfi, Kamel, Said Lahcène, Mourad Itim, ont chanté ensemble la chanson de Matoub '' Es laavit a y a Vahri ''. Espérons que ces deux artistes hors pair reviennent encore à Montréal pour le grand bonheur de leurs fans et de la culture berbère profonde. L'animatrice Mekioussa Kebab n'a pas manqué de remercier toutes les personnes qui ont contribué au succès de l'évènement. Elle a également annoncé la commémoration du printemps par le CAM qui aura lieu le 19 avril à Montréal. En attendant, le KSP a déjà programmé un autre artiste Mohamed Allaoua pour le 10 mai prochain à la même salle.