De sauts de puce à pas de géant, une aventure toujours recommencée
Un cours qui avait fasciné Bachir Halimi portait sur l'automatisme. Mathématicien de formation, il optera pourtant pour l'informatique, "une discipline que je méconnaissais dans un pays, le Canada, que je méconnaissais encore plus".

Un double challenge pour ce natif de M'daourouch, ville natale d'Apulée, située près de Tebessa. L'inconnu, le nouveau, est toujours attractif. L'Amérique moderne recèle aussi ses mystères et le jeune Bachir Halimi, arrivé au Canada en 1975, à l'âge de 19 ans, a bien l'intention de ne pas chômer en route. La bosse des maths ne lui suffisant pas, il décide d'y ajouter celle des affaires: à cette époque, l'arabe n'est pas encore un langage informatique. Pourquoi? Poser la question, c'est y répondre. Après un bref séjour en Algérie, il est de retour au Canada: "J'ai été déçu. J'étais très nationaliste et j'ai découvert que le pays fonctionnait en dépit du bon sens. ça été une douche froide". Cet esprit cartésien qui n'aime rien tant que la logique, décide, une fois pour toute, que 2+2 font 4 et qu'après un discours il faut de la méthode. Les jobines d'étudiants, ingrates et sans grand intérêt, ne le font pas dévier de la voie qu'il s'est tracée. Bientôt, il développe un programme informatique, ALIS, pour Arabic Latin Information Système. La classification des lettres arabes qu'il opère permet de les retranscrire sur l'écran d'un ordinateur avec autant de facilité que pour les caractères latins, ce qui n'est pas rien quand on sait que les lettres arabes changent de graphie selon la position qu'elle occupe dans le mot, au début, au milieu ou à la fin. Problème: l'écran cathodique n'existait pas encore et l'application de Bachir Halimi trouve ses débuts avecles machines à écrire électronique: "La firme allemande Olympia a embarqué". C'est le début d'une reconnaissance internationale qui n'allait plus se démentir par la suite. Quand les premiers écrans cathodiques sont arrivés sur le marché, Bachir Halimi améliore encore la technologie: les lettres doivent être calculées à la fraction de millimètre près afin que, les unes dans les autres, elles s'imbriquent et s'emboitent, reproduisant, autant que possible, la beauté préméditée de la caligraphie: "Quand j'étais à M'daourouch, j'avais fait le lettrage pour un café. Les gens s'en souviennent encore".
La partie, pourtant, n'est pas encore gagné. Certains suggèrent que les Arabes se mettent à l'anglais puisque les ordinateurs fonctionnent dans cette langue: "Certains pays ont eu un haut-le-corps notamment l'Arabie Saoudite, l'Égypte, la Jordanie". Quand les premiers appels d'offre sont lancés, celà renvoyait automatiquement vers Alis: "Nous étions la compagnie la plus en pointe dans le domaine". Microsoft opte pour la technologie Alis: Bachir Halimi boit du petit lait. En 1986, le géant américain négocie, prend une licence, entrevoit les perspectives: "Microsoft sait u'il a un formidable pouvoir d'achat. Quand il négocie, il met tout son poids dans la balance: soit vous acceptez, soit vous êtes éliminé". Pour remporter la marché, Microsfot met sur la table 1 million de dollars. L'affaire est entendue. Microsoft inonde le marché à des coûts ridiculement moindre. Alis se replie alors vers des produits que Microsoft ne produit pas: les imprimantes, par exemple: "Il n'y avait plus de défi pour moi. La langue arabe avait désormais sa place. Il fallait trouver autre chose". Une mission commerciale algérienne, en visite au Canada, est intéressée: "Je me suis déplacé en Algérie pour monter un système informatique arabisé. Il y eut appel d'offres, je suis allé dessus et c'est là que je me suis trouvé confronté à la bureaucratie algérienne". L'affaire qui devait être réglée en six mois prend deux ans finalement: "Un veritable cauchemar". Le produit proposé au début est, désormais, obsolète. Bachir Halimi propose son plus récent produit, moins cher et plus performant: "Des amis qui me voulait du bien m'on conseillé de faire passer le nouveau pour l'ancien, sinon il fallait refaire tout le circuit".
Dans ce système UBU, il faut savoir garder son calme: "Comme j'étais actionnaire de la compagnie et que je détenais plus de 5% des actions, les entreprises algériennes ne pouvaient pas traiter avec la mienne. Je tombais sous le coup de la loi 78/02 encore valide au milieu des années 80". Cette loi, qui avait pour objet, au moment où elle avait été prise, de contre le versements de commissions occultes à des actionnaires-paravents, finit par mettre tout le monde dans le même panier: "Ce qui était comique, c'est qu'à la même époque je sortais avec des missions commerciales canadiennes alors que je n'avais pas encore la citoyenneté".
Alis, qui faisit de belles choses, n'était plus profitable surtout quand le piratage s'en est mêlé: "Un jour, à Ryadh, j'ai trouvé notre produit exposé dans une vitrine pour 15 rials. A peine le prix de la disquette".
Bachir Halimi, qui a une capacité infinie à rebondir, développe une nouvelle technologie aux applications immédiates. Sa nouvelle compagnie, Excendia, se propose de lancer un produit ambitieux: "Une assistante personnelle virtuelle pour les gens d'affaires mobiles". Il suffit d'appeler votre assistante au téléphone pour savoir quand, avec qui, où, à quelle heure, à quel endroit vous avez rendez-vous. Vous pouvez consulter vos e-mail, savoir qui vous a écrit, connaitre la teneur du message. Un monde infini de perspectives. Qui ouvrira nécessairement vers d'autres mondes et d'autres technologies. Pour le plus grand bonheur de Bachir Halimi.