En pleine pénurie de main-d’œuvre en santé, deux imams montréalais cherchent activement à dissuader les musulmans de travailler dans ce secteur, affirmant par exemple qu’il leur est « interdit » d’être préposés aux bénéficiaires.

Adil Charkaoui et Hamza Chaoui, qui ont fait les manchettes à plusieurs reprises dans le passé, estiment que beaucoup de tâches effectuées par les professionnels de la santé violent la charia. 

Être préposés aux bénéficiaires, « c’est interdit » parce que ceux-ci voient « les parties intimes » de personnes de l’autre sexe, a assuré M. Chaoui, dans un prêche intitulé « Les métiers licites et illicites au Canada », qu’il prononçait avec M. Charkaoui. La mosquée Assahaba, rue Bélanger, a mis en ligne la vidéo le 5 janvier dernier. « En plus de ça, nous, en tant que musulmans, nous ne sommes pas venus ici pour être humiliés. Moi, je trouve que ce travail-là […], c’est une insulte aux musulmans. » 

L’imam rapportait la réponse qu’il avait donnée à une musulmane qui songeait à répondre à l’appel du gouvernement pour travailler comme préposée : « C’est inacceptable, c’est haram [illicite], c’est humiliant comme travail », a-t-il continué. 

Quelques minutes plus tôt, l’imam avait aussi énoncé les conditions qui empêcheraient de facto aux musulmans de travailler comme professionnels de la santé. « Ce n’est pas permis au médecin et à l’infirmier – et [aux autres professions] dans le domaine médical – de soigner une femme, sauf dans le cas de l’absence d’un médecin femme, soit musulmane ou non musulmane, mécréante », a-t-il dit. « Le médecin doit soigner uniquement l’endroit qu’il a besoin de soigner ou de voir » et la femme doit être accompagnée par un homme de sa famille « pour qu’il n’y ait pas un certain dérapage ».

Puisque ces conditions sont « presque impossibles » à respecter en pratique, l’imam Chaoui recommande aux musulmans des spécialités bien précises : l’urologie (pour les hommes), la pédiatrie et la médecine dentaire pédiatrique.

Plusieurs autres métiers interdits

Les deux imams n’ont pas répondu à la demande d’entrevue de La Presse. La vidéo a été retirée de Facebook juste après l’envoi de nos messages, alors qu’elle comptait plus de 7000 visionnements.

Le reste de leur conférence portait sur les autres métiers permis et interdits – à leur avis – aux musulmans.

Tout travail dans une institution financière, dans une entreprise d’assurance ou même chez un sous-traitant de ces industries est strictement prohibé, ont-ils fait valoir, en vertu de l’interdiction faite aux musulmans de toucher un intérêt sur un prêt.

Un musulman peut devenir coiffeur, mais seulement s’il coiffe les clients du même sexe, qu’il refuse de faire des dégradés (interdits par la loi musulmane, à leur avis) et qu’ils entretiennent la barbe adéquatement.

Un emploi dans une entreprise qui tire un revenu de la vente d’alcool ou de porc (restaurant, épicerie) est interdit. Pour mitiger le problème, des négociations sont parfois possibles pour travailler à l’écart de ces produits, dans un autre secteur de l’épicerie, par exemple, ont-ils fait valoir. Adil Charkaoui a notamment souligné que la pénurie de main-d’œuvre actuelle facilitait la tâche des travailleurs qui veulent accepter un emploi, mais seulement à des conditions bien précises.
« Extrêmement marginal »

Rachad Antonius est professeur à l’Université du Québec à Montréal. Il a fait paraître, l’an dernier, un livre sur l’islam et l’islamisme en Occident.

À son avis, les discours de MM. Charkaoui et Chaoui n’auront que peu d’impact dans la communauté musulmane de Montréal.

« Ce type, Charkaoui, est un type extrêmement marginal. Dangereux, mais marginal », a-t-il affirmé en entrevue téléphonique.

Je ne crois pas que [l’]opinion [de Charkaoui] va faire une vraie différence. Peut-être qu’il y aura un nombre très limité de personnes qui vont le prendre au sérieux, mais je ne pense pas que c’est ça qui va changer les choses. [D’ailleurs], ce genre de bigoterie religieuse, il y en a un peu dans toutes les religions.

Rachad Antonius, professeur à l’Université du Québec à Montréal

L’adhésion aux pratiques religieuses varie beaucoup dans la communauté musulmane. Mais « dès qu’il s’agit de l’emploi, on prend ces choses-là beaucoup moins au sérieux », a assuré M. Antonius. « Il y a des médecins musulmans dans chaque hôpital, y compris des femmes voilées. Il y a des infirmières musulmanes dans tous les hôpitaux. »

M. Antonius a ajouté qu’il estimait que ces imams ne méritaient pas l’attention médiatique qui leur est accordée. 

Qui sont les deux imams ?

Adil Charkaoui: Établi au Québec depuis 1995, Adil Charkaoui a été emprisonné en 2003 en raison de liens soupçonnés avec des terroristes. Il a réussi à faire annuler le certificat de sécurité qui le visait, Ottawa refusant de dévoiler sa preuve pour des motifs de sécurité nationale. Il a toujours clamé son innocence.

Hamza Chaoui: D’origine marocaine, Hamza Chaoui a fait les manchettes en 2015 parce qu’il comptait transmettre son enseignement fondamentaliste dans un centre pour jeunes. L’administration du maire Denis Coderre a finalement bloqué le projet, qualifiant l’homme de « fomenteur de tensions sociales » et d’« agent de radicalisation ».

https://www.lapresse.ca/actualites/2024-01-27/poste-de-prepose-aux-beneficiaires/interdit-et-humiliant-pour-les-musulmans-selon-deux-imams.php