L’affaire est remontée au plus haut sommet de l’État algérien.

Début janvier, le président Abdelmadjid Tebboune a fait limoger le directeur général de la police du pays, Farid Bencheikh, après la fuite d’un Algérien d’une quinzaine d’années dissimulé dans le train d’atterrissage d’un avion de ligne d’Air Algérie assurant la liaison entre Oran et Paris.

Le clandestin, sans papiers, a été retrouvé dans un état d’« hypothermie sévère » le 28 décembre à l’aéroport d’Orly, mettant ainsi dans l’embarras le régime algérien, et ce, en allongeant une liste de plus en plus longue de jeunes du pays prêts à braver la mort pour se donner une meilleure vie. 


Le phénomène est en pleine croissance. Il vient confirmer en partie l’échec du Hirak, ce mouvement pacifique né il y a cinq ans, jour pour jour cette semaine, appelant à la chute du régime autocratique algérien et à une réforme civile et démocratique du pays. C’était un 16 février, dans la ville de Kherrata, à 300 kilomètres à l’est d’Alger. Six jours plus tard, cette révolution dite des sourires s’emparait des rues de la capitale, faisant souffler pour la première fois depuis l’indépendance un réel vent d’espoir et de changement sur l’Algérie. 

À l’époque, le soulèvement populaire spontané, opposé à un cinquième mandat présidentiel d’Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis vingt ans, avait fait chuter radicalement le nombre de ces harragas, comme on dit là-bas — en français : « ceux qui brûlent »… leur passé, leurs papiers d’identité dans l’espoir de trouver un statut de réfugiés ailleurs. Mais la répression du Hirak et le durcissement du régime pour contraindre l’élan de liberté qui s’est exprimé chaque semaine dans les rues, jusqu’aux premiers confinements imposés par la pandémie de coronavirus, n’en auront pas fait une tendance durable. 

« Depuis 2021, nous assistons à une recrudescence de l’arrivée de clandestins algériens dans le sud de l’Espagne », indique en entrevue Marie-Ange Colsa Herrera, présidente du Centre international pour l’identification de migrants disparus (CIPIMD), jointe par Le Devoir à Málaga. Cet exil passe le plus souvent par la mer, sur des bateaux de fortune, pour atteindre les côtes d’un pays européen bordant la Méditerranée, l’Espagne en tête. « Mais depuis deux ans, cette route migratoire, aussi risquée soit-elle, est en train de changer en raison du contexte politique et surtout économique de l’Algérie qui pousse désormais à l’exil non plus seulement de jeunes hommes, comme avant, mais de plus en plus de jeunes familles, avec des enfants. »

Absence de liberté

Classée dans le dernier rapport de l’ONG Freedom House dans la liste des « pays sans liberté », dont les richesses sont contrôlées par « une caste politique » principalement militaire, l’Algérie cultive son paradoxe avec d’importantes ressources naturelles qui peinent à sortir ses habitants de la pauvreté. Le pays d’Afrique du Nord est le neuvième exportateur mondial de gaz naturel liquéfié. En 2022, le revenu par habitant y était d’environ 3700 $US, soit 14 fois moins qu’au Canada.

Selon le Baromètre arabe, un réseau de chercheurs indépendants, 95 % des Algériens souhaitaient en 2022 que le système politique de leur pays soit réformé, en montrant du doigt la corruption comme le problème le plus urgent à traiter à leurs yeux. Cette corruption était au coeur des slogans portés dans les rues par les militants du Hirak, entre 2019 et 2021. 

L’Algérie est également un pays jeune où plus de la moitié de ses 45 millions d’habitants a moins de 30 ans. Une jeunesse, frappée durement par le chômage, selon les statistiques officielles, vivant difficilement dans les impasses construites par le régime et qui est désormais prête à affronter tous les dangers, y compris les pires, pour s’en extraire.

En 2023, les autorités algériennes ont affirmé avoir arrêté près de 4800 de ces harragas sur ses côtes ou sur ses eaux territoriales, soit presque autant qu’en 2022, et ce, malgré « des conditions climatiques difficiles sur la Méditerranée dans la première partie de 2023 », ce qui confirme le désespoir vécu par ces Algériens, souligne Mme Colsa Herrera.

Et passer à travers les mailles du filet n’est pas de meilleur augure pour ces aspirants à l’exil, dont 452 sont disparus ou sont morts en mer sur les 802 passagers partis par la mer en direction de l’Espagne sur 46 embarcations et dont le destin, souvent fatal, a été suivi de près en 2023 par le CIPIMD.

Au total, 6600 migrants partis de l’Algérie, mais également du Maroc ou de la Tunisie, pour tenter d’atteindre l’Espagne, sont morts en 2023. Selon l’ONG espagnole Caminando Fronteras, cela représente un rythme de 18 décès par jour, soit trois fois plus que l’année précédente et surtout le bilan « le plus élevé » enregistré par l’organisme depuis sa fondation, a précisé au début l’année sa coordinatrice, Helena Maleno, par voie de communiqué. 

Il s’agit aussi de la partie visible seulement, puisque « ce que la Méditerranée prend, elle ne le rend pas toujours », commente Marie-Ange Colsa Herrera, qui déplore au passage des conditions de sauvetage de moins en moins accessibles et surtout des cadres migratoires se repliant de plus en plus sur eux-mêmes, dans plusieurs pays européens, sous l’effet de la montée d’un radicalisme de droite. Une exploitation de la peur de l’autre à des fins politiques qui contribue ainsi à entretenir et à alimenter ces routes clandestines et dangereuses.

Cette multiplication des drames migratoires accompagne la flambée de migrants arrivés clandestinement en Espagne l’an dernier, principalement par l’archipel des Canaries. 57 000 personnes y ont débarqué, de frêles esquifs surchargés, soit le double de l’année précédente, selon les chiffres du gouvernement espagnol.

Des flux de plus en plus gênants pour les autorités algériennes, qui cherchent à contenir ces nombreux candidats à l’exil dont très peu atteignent leur destination. En juin 2022, les corps de deux hommes ont été retrouvés sans vie dans le train d’atterrissage d’un autre avion à l’aéroport d’Alger. L’appareil venait d’effectuer un aller-retour entre la capitale de l’Algérie et Barcelone, devenu pour ces deux clandestins un aller simple vers la mort. 

À l’époque, le régime avait suspendu plusieurs hauts responsables de la police algérienne en réponse aux décès de ces deux jeunes.

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