Montréal 1960 : « C’est le temps que ça change » proclamaient alors les libéraux de Jean Lesage.

La province francophone d’Amérique du Nord s’engageait dans un bouleversement social radical dont l’un des symbole marquant fut le glissement identitaire et lexical : Ils ne souhaitaient plus être des Canadiens français et mais devenir des Québécois. L’immigration dans ces temps là n’était pas régie par les mêmes ambitions. La province de Québec n’utilisait pas ses prérogatives en la matière et seul le pouvoir fédéral établissait la ligne directrice. La politique migratoire canadienne était beaucoup plus fermée et catégorisée. Au Québec, c’est à Monsieur André Patry que l’on doit la prise de conscience du monde politique sur cette question. Juriste, père de la doctrine Gérin-Lajoie qui offre au Québec le prolongement de ses compétences provinciales inscrites dans l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique sur la scène internationale, il s’empare de l’AANB pour justifier la compétence de la province en matière d’immigration. Dès 1966, il établit un secrétariat à l'immigration dont il est le représentant auprès du Premier Ministre d'alors. Il pressent dès cette époque que le contrôle de l'immigration deviendra un atout capital dans la pérennité d'un monde francophone en Amérique du Nord. En 1968, un Ministère de l'Immigration est créé, qui, d'après sa loi constitutive, "a pour fonction de favoriser l'établissement au Québec d'immigrants susceptibles de contribuer à son développement et de participer à son progrès et de favoriser l'adaptation des immigrants au milieu québécois". La province assigne alors un rôle à l’immigration et l’intègre dans sa réflexion identitaire. Le choix progressif par le Québec des bassins et des catégories de recrutement va profondément modifier la nature même de la population québécoise. Les années 1960 marquent cette ouverture sur le monde. Composée essentiellement de ressortissants européens dont Français, Britanniques ou Italiens forment le gros des troupes, cette immigration se diversifie alors progressivement. L’immigration algérienne au Québec apparaît alors dans des proportions infimes dans ces années là. Mais la présence algérienne est antérieure à cette époque et il est fait mention dans les souvenirs de certains, d’Algériens installés au Canada durant la seconde guerre mondiale. Il serait tout à fait intéressant de pouvoir recueillir des témoignages à ce sujet, permettant ainsi de prolonger dans le temps l’histoire toute récente de cette immigration.

Jusqu’en 1957, l’office des statistiques canadien comptabilisait les personnes nées en Algérie au sein de l’origine « Afrique non britannique ».  Le changement a lieu après un affinement du style de collecte et l’Algérie se retrouve dans la catégorie Arabe (dont sont exclues l’Egypte et la Syrie). Ainsi du fait même de la nature du statut juridique de l’Algérie jusqu’en 1962, il est impossible de comptabiliser le nombre d’arrivée en sol canadien de ressortissants algériens, mais il existe d’autres indications permettant de dessiner un portrait approchant. Le pays de dernière résidence nous offre dans les statistiques une approximation chiffrée dés plus intéressantes. Entre 1946 et 1956, le Canada a reçu 21 immigrants dont le dernier pays de résidence était l’Algérie. De 1956 à 1963 il en est rentré 843. Cette brève affluence s’explique par l’arrivée d’une légère vague de « pieds-noirs » qui selon la presse locale de l’époque n’étaient pas les bienvenus. Sont pourtant arrivés au Québec plusieurs hommes de lettres à l’image du plus célèbre d’entre eux l’écrivain Marie Cardinal. La société québécoise des années 1960 par le biais de l’effervescence intellectuelle qui y régnait alors a construit une proximité émotionnelle avec l’Algérie d’alors. La jeunesse de l’époque s’est appropriée le sujet algérien dans sa capacité à s’inventer un avenir libre de la colonisation française et l’a intégré à sa réflexion pour construire son propre avenir. Le FLQ a pris exemple sur les modes d’actions du FLN, les indépendantistes du PQ ont rejeté le recours à la violence et les libéraux derrière Pierre Eliott Trudeau ont utilisé le modèle algérien pour stigmatiser d’avantage encore le monde souverainiste québécois. Cette présence algérienne sur la scène québécoise a ainsi permis une première approche doublée d’un échange et d’un repère culturel de l’Algérie dans la société québécoise des années 1960.

Ces Algériens étaient toutefois très peu nombreux à tenter l’aventure en terre canadienne. Entre 1963 et 1970, ils ne furent que 101 en comparaison des plus d’    1 300 000 immigrants établis dans ce pays pour la même période. Qui étaient- ils par où arrivaient-ils ? la plupart de ces 100 personnes sont arrivées par avion au Canada, 6 d’entres eux sont arrivées par avion des Etats-Unis et un seul est venu en bateau par un port américain. Nombres d’entres eux ne venaient pas directement d’Algérie car la plupart signale la France ou les pays européens comme dernier pays de résidence. Leur destination souhaitée est le Québec mais on en retrouve dans presque toutes les provinces canadiennes à l’exception des Territoires du nord-ouest et du Yukon. L’Ontario est la province la plus prisée après le Québec qui concentre déjà l’écrasante majorité de cette immigration. Il est à noter l’arrivée de quelques familles dès cette époque avec l’arrivée d’enfants en bas âge et de quelques personnes âgées.

Il est de tradition, en évoquant l’implantation algérienne au Canada de prendre 1967 comme date charnière. 1967 correspond à l’exposition universelle à Montréal. l’Algérie y a ouvert un pavillon faisant par là-même venir plusieurs ressortissants au Québec.

 

Pavillon d'exposition de l'Algérie à l'Expo 67 de Montréal

 

Pavillon d'exposition de l'Algérie à l'Expo 67 de Montréal


Cependant, à la lecture détaillée des chiffres, il est impossible d’observer la concrétisation de cette affirmation. Il est possible toutefois que cette manifestation ait permis une ouverture et un intérêt accrus de la part des Algériens pour le Canada qui s'est traduit au cours des décennies suivantes par des arrivées plus importantes et des installations définitives. Mais l’intensification des arrivées date du milieu des années 1980 sans qu’il soit possible avant de trouver trace d’un accroissement significatif.   Ces Algériens, d’un niveau d’instruction élevée, établissaient des souhaits d’activités professionnelles. La majorité formulait le vœu de travailler dans le cadre de professions libérales (classification de l’époque de Statistiques Canada), certains en des termes plus restreints dans le commerce ou dans les bureaux ou l’administration. On trouve deux agriculteur pour la décennie 1960, quatre personnes dans le monde de la Mécanique et quatre dans la construction. Ces immigrants là ont ils réussi leur insertion professionnelle, les études ne le disent pas mais nous pouvons penser que dans le Québec des années 1960 cette très faible immigration algérienne est passée inaperçue dans le flot des immigrants et le contexte économique et social étant très favorable, le marché de l’emploi québécois de cette époque a du absorber cette immigration sans difficulté. 

Le Québec effervescent de la révolution tranquille entraînait les immigrants dans un bouleversement collectif auquel ils ont participé plus ou moins intensément. La société de la province s’est ouverte à ces nouveaux venus et s’est enrichie de cette différence. Il serait plus que souhaitable, à l’heure actuelle où les débats au Québec s’enlisent  dans des chemins de traverses de se remémorer que dans un temps pas si lointain, la société québécoise toute entière a su évoluer et s’enrichir de ce qu’il y avait de meilleur chez tous ces membres, qu’ils soient très récents ou de plus vieille ascendance.

Marion Camarasa
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