Je suis triste et renfermé sur moi même.  Je ne peux parler à personne pour le moment.  Je vis un deuil, un chagrin et une grande peine.  J'ai perdu un grand ami, un frère, un compagnon de longue date.


J'ai combattu avec Ali pour la même cause.  Nous avions combattu ensemble la hogra, la rachwa, les tyrans de l'administration et les autocrates de la bureaucratie algérienne.  Nous étions une quinzaine de personnes démunies et dépourvues de long bras.  Nous étions des fils et des filles de journaliers, de retraités, de simples fonctionnaires, de fellahs ou comme dans mon cas, fils d'une femme de ménage qui n'a jamais voulu que son fils mette fin à ses études pour travailler au bas de l'échelle.

Dans le groupe, il y avait des sages, des gênés, des posés et des trouble-fêtes.  Il y avait Mustapha, Ahmed et moi d'Oran, Abdelaziz du «confort» à Diar el-Mahsoul, Mohamed de Cheval Blanc, Karim de Chevalier, Lahcen de Boudouaou, Ali, le Kbayli de Sadok près de Akbou, Abdelhak, de cheffa à Jijel, Noureddine de Tahir à Jijel, Almarhoum Ali Dib, de Télaghma, Abdelkader de Maghnia, Othmane de Kouba, Djeloul de Sidi Bel-Abbes, Rachid de Saïda et Karima de Tiaret.

Ali Dib et Mustapha étaient les plus jeunes de la gang.  Nous les taquinions le plus souvent.  Les algérois, les appelaient Drari, Ali le Kabyle, les Atetouh, Ahmed et moi, les bzouza ou les ghrawines.  Mustapha riait et s'amusait.  Almarhoum, souriait et embarquait dans le jeu pour faire plaisir aux amis.

Il était, certes, le plus jeune dans l'âge. Mais il était le plus logique, le plus humble, le plus rationnel, le plus généreux et surtout le plus gentil.  Quand nous affrontions les fonctionnaires de l'administration à Alger, ces derniers préféraient discuter surtout avec les deux Ali ou avec Djeloul.  Ils n'aimaient discuter, ni avec Ahmed, ni avec Aziz, ni avec Abdelhak et encore moins avec moi.  Nous étions les soupes au lait de la gang.  Ali négociait avec sagesse et raisonnement et c'est comme ça qu'il a négocié son départ vers le bon Dieu.  Il combattait à Alger en pratiquant la vertu et la philosophie.  Avec sa maladie, il a négocié un an et demi de souffrance.  Il était malade et souriant.  Il était malade et écoutant les doléances des uns et des autres.  Il était malade et se souciait des problèmes des compatriotes.
Mon cher Ali, je te pleure de tout mon cœur.  Ce 26 juin restera gravé dans mon cœur, car je préparais mon fils pour son bal des finissants et quand la mauvaise nouvelle est arrivée, j’étais hors de moi, le moral est tombé complètement à terre et le cœur  serré se disputait avec la boule énorme dans la gorge.

Mon fils ne voulait pas aller à son bal et j’ai insisté afin que tu sois content de lui.  Je l'ai déposé et je suis partie en courant à la mosquée pour implorer le bon Dieu et me recueillir un petit moment.  J'ai ouvert le livre sacré et je suis tombé sur Sourate Annour, je l'ai lue à haute voix et au complet.

Cher ami Ali, tu es partie un mois de juin comme ma défunte Khalti que tu as connu et invité, chez toi, en 1997 et en 2000.  Tu la salueras de ma part et de la part de sa fille ainsi que de ses petits-enfants.  Cher Ami Ali, tu es parti rejoindre ton père Si Mohamed que j'ai connu et reçu chez moi, au mois de Ramadan en 2003.  Tu le salueras de ma part et de la part de tous les amis qui l'ont vu après les tarawih au café, à Jean Talon.

Je ne te dis pas adieu, c'est difficile pour moi de m’y résoudre.  Je ne te dis pas adieu, je ne veux pas imaginer un seul instant que tu es parti pour l'éternité. 

Cher Ali, le cinquantenaire sans toi n'aura pas de goût festif.  Il sera par contre, une occasion de se rappeler des martyrs de la révolution, des martyrs d'octobre 1988, des disparus de la décennie noire, des victimes et de nos défunts morts.

Reposes en paix.  Ta souffrance de ces derniers mois, nous a fait mal et ton départ en a fait autant.  Tu nous manqueras beaucoup et nous penserons à toi à chaque moment.