Il est difficile de demeurer impassible devant les souffrances de milliers de nos concitoyens d’origine tamoule qui, depuis plusieurs semaines, font le siège des bâtiments publics des grandes villes canadiennes. Les mêmes scènes de désarroi se répètent à Paris, Berne ou Londres. Ils n’ont pas le choix : le peule tamoul vit ses jours les plus sombres. 

 

La diaspora a décidé de réagir à sa façon aux atrocités qui se déroulent dans un pays devenu une prison à ciel ouvert. Le mythique Eelam, contrée tant louangée, est plus que jamais une chimère. De l’imposant territoire qu’ils contrôlaient il y a encore quelques mois, les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) ne défendent plus qu’une minuscule bande d’environ dix kilomètres carrés adossée à l’Océan. À défaut d’un État, ils luttent pour leur survie. Des centaines de milliers de civils sont pris dans l’engrenage d’une guerre brutale et asymétrique. On note plus de 6500 morts. Un véritable pogrom est en cours sous le regard de la communauté internationale. Il est vrai que les consciences de ce Monde ont les yeux rivés sur le Darfour et ses richesses…
 
Bref rappel historique : La guerre civile au Sri Lanka est l’un des plus vieux conflits au Monde, un autre héritage de la colonisation britannique. Cependant, les développements de ces dernières années se résument à une tragédie en trois actes : d’abord, les belligérants, les LTTE et le gouvernement sri lankais « tentent » des négociations, souvent en Scandinavie sous les auspices de la Norvège, un État qui s’est imposé comme le leader en matière de négociations de paix, un rôle autrefois dévolu au Canada de Llyod Axworthy. Puis, ce sont les Tigres tamouls qui sont placés sur les différentes listes des organisations terroristes dressées par l’Union européenne, le Canada et les États-Unis, dans le sillage du 11 septembre 2001, ce qui les empêche de s’approvisionner en armes. C’est le début de leur anéantissement. Finalement, les deux frères Mahinda et Gotabaya Rajapakse (respectivement président et ministre de la défense) prennent le pouvoir à Colombo. L’avènement de ce duo va s’avérer le prélude des destructions actuelles.

En effet, depuis l’arrivée à la tête de l’État sri lankais de ces deux Cingalais extrémistes au discours nationaliste, le conflit dans l’ex-Ceylan n’a jamais cessé de se radicaliser. Ainsi, la purification ethnique en pays tamoul a pris des proportions effarantes. La société civile a payé un lourd tribut, notamment les journalistes. Le meurtre, le 8 janvier, de Lasantha Wickrematunge, un intellectuel qui a toujours dénoncé la corruption dans les hautes sphères de l’État ainsi que certains dérapages des Tigres, a choqué ceux qui croyaient encore à une solution pacifique. Les frères Rajapkse ont également armé des formations paramilitaires rivales des LTTE, dont celle du célèbre colonel Karuna qui, en tout temps, a recruté des enfants, y compris par la force. En même temps, ils ont liquidé des personnalités tamoules modérées, comme S.P. Thamilselvan, le numéro 2 de l’opposition armée et partenaire du gouvernement lors des tractations de paix.
  
L’inclusion des Tigres dans les fameuse listes des organisations infréquentables a, sans nul doute, été un tournant. Le même scénario risque de se reproduire ailleurs. D’autres mouvements sont montrés du doigt, à l’instar du Hamas palestinien qui, pourtant, est arrivé au pouvoir par les urnes. Ceux qui sont soupçonnés de sympathie pour ce parti rencontrent immédiatement les foudres des puissances occidentales.
Récemment, le député britannique George Galloway a été interdit d’entrer au Canada au motif qu’il a livré de l’aide humanitaire à la bande de Gaza administrée par les islamistes palestiniens. Le mois dernier, c’est la Fédération canado-arabe qui est punie par le ministre fédéral de l’immigration, le conservateur Jason Kenney. Celui-ci a reproché au leader de la Fédération d’avoir émis le souhait de voir un jour le Canada reconnaître le Hamas et le Hezbollah. Résultat : la « frondeuse » association perd les subventions octroyées par le ministère de l’honorable Kenney.

Un autre exemple montre qu’on peut figurer sur une liste noire tout en étant, plus ou moins, en odeur de sainteté. C’est le cas de l’Organisation des Moudjahidines du Peuple Iranien, une formation d’inspiration marxiste qui a soutenu l’Irak de Saddam Hussein dans une guerre implacable contre son voisin perse. Même s’ils sont personae non gratae aux États-Unis et au Canada, les Moudjahidines ont tenu un grand rassemblement à Paris en présence d’un groupe de quatre députés canadiens. Leur leader, Maryam Radjavi alias le « Soleil de la révolution » est de plus en plus courtisée. 
Cet exemple montre clairement que la définition du terrorisme est sujette à diverses interprétations, dépendamment de la position de ceux qui écrivent l’Histoire. Feu Yasser Arafat, le dirigeant palestinien, était lui-même traqué comme terroriste, avant de recevoir le prix Nobel de la Paix en compagnie d’un autre paria (du temps de la Palestine mandataire) reconverti en homme de paix ; j’ai nommé Yitzhak Rabin.

Quelques questions récurrentes me viennent inévitablement à l’esprit : Quels crimes ont commis les Ouigours, les Tchétchènes ou les Karens ou d’autres peuples dont le martyr est peu médiatisé pour mériter de terribles souffrances ? À quand une liste des États terroristes qui inclurait des pays s’adonnant à des exactions contre leurs minorités religieuses, ethniques ou autres ? Une telle liste ne serait que justice. À coup sûr, elle serait longue, et le Sri Lanka des frères Rajapakse y figurerait en bonne place.

Arezki Sadat (Collaborateur/Chroniqueur)