Une nouvelle fois, la communauté arabe se retrouve au centre d’une vive controverse, dont seules les « élites » québécoises ont le secret. Paroles anodines ou stéréotypes bien ancrés?

 

Cette fois-ci, tout a commencé suite à la déclaration de Louise Harel, l’ancienne ministre provinciale des affaires municipales qui a fait montre sa crainte de voir un jour la métropole montréalaise se fragmenter en plusieurs villes « ethniques » : « …une ville italienne, une ville haïtienne, une ville anglophone, une ville arabe, Ville Saint-Laurent, une ville juive, etc. », a-t-elle lancé devant les journalistes médusés de la chaîne publique RDI. D’après cette figure connue de la politique provinciale, un éventuel découpage de la ville, qui se traduirait par une réduction du nombre des arrondissements de 19 à 10, pourrait déboucher sur un réel imbroglio « ethnique ».

Plus que les confessions de l’ex-dignitaire du Parti québécois, ce sont les réactions véhémentes qu’elle a suscitées, y compris auprès du maire Gérald Tremblay, qui étonnent. La riposte ne se fit pas attendre. « Les citoyens de Montréal, peu importe leur origine, sont tous des citoyens à part entière », a laissé entendre ce dernier. Encore un peu et on se mettrait à croire à ce tableau idyllique de notre ville. Malheureusement, le maire a plutôt tendance à prendre ses désirs pour la réalité. Un tour dans des entreprises locales l’inciterait sans aucun doute à y apporter un correctif.

Il faut reconnaître que l’ex-ministre n’a fait que dire très haut ce que beaucoup pensent aussi bas que possible. Les commentaires critiques à son égard ne sont pas sans rappeler le tollé qu’a provoqué la sortie, au lendemain de la fusillade du collège Dawson, d’une certaine Jan Wong. La journaliste d’origine chinoise du torontois Globe and Mail, qui a longtemps vécu au Québec, avait associé les trois tueries en milieu scolaire survenues à Montréal durant les dernières 17 années au malaise prévalant au sein de l’immigration de première et deuxième générations. À l’occasion, elle n’avait pas mâché ses mots, puisque la sacro-sainte Loi 101 et la majorité « pure laine » sont passées à la trappe.  

Attribuer à Louise Harel une intention aussi belliqueuse serait un acte de mauvaise foi. Qu’a-t-elle voulu dire de méchant? Rien, si ce n’est qu’une ghettoïsation rampante menace notre ville, du moins certains quartiers. Ses interlocuteurs, eux se sont attardés uniquement sur le cas de Ville Saint-Laurent. Étrange réflexe.
L’apport des communautés originaires des pays arabes dans ce coin de Montréal est indiscutable. Personne ne s’est demandé si on y parlerait encore la langue de Voltaire sans ces immigrants venus d’Algérie, du Liban ou du Maroc Les élites mal intentionnées préfèrent, cependant, ignorer la volonté d’intégration de centaines de contribuables attirés par une qualité de vie, dont ils ne voient guère la couleur. Décidément, nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge « Choc des cultures »!

Madame Harel aurait peut-être dû aller jusqu’au fond de sa pensée. En tout cas, sa déclaration n’est pas dénuée de fondement. La ghettoïsation est également dans les têtes. Les frontières se trouvent dans les esprits de ceux qui décident du marché du travail. La population immigrante se concentre dans certains quartiers pour des raisons économiques : les prix des logements sont à la portée de leurs bourses. Certains vous diront que la solidarité intra-communautaire aide à atténuer les vicissitudes de la vie.
En d’autres termes, l’apparition de quartiers ethniques et le repli identitaire qui parfois s’y rattache ne sont  que les conséquences de l’exclusion des minorités visibles du marché des emplois de qualité. Si la tendance se maintient, pour employer l’expression consacrée, bientôt dans certaines parties de Montréal seul le vendeur de tickets de la STM sera un « pure laine »!

Et si les sueurs froides de nos décideurs s’avéreraient un jour exagérées…? Il n’est pas acquis que la majorité des immigrants voudra, à long terme, lier sa destinée à la Belle Province. Déjà que nos élites domiciliées à Westmount nous prédisent la fin des « vaches sacrées ». Entre dire adieu aux garderies à 7 dollars, au système de santé public et aux tarifs d’Hydro-Québec, et un nouvel exil sous des cieux plus cléments, le choix n’est pas difficile…
Connaissant la complexité des problèmes de rétention du Québec, il est clair que des gestes forts s’imposent. Une ville qui se vide de ses habitants peut-elle encore se permettre le luxe de marginaliser toute une frange de sa population?

Une fois n’est pas coutume, mais je tiens à terminer cette chronique par une note optimiste : la nomination à la tête de la Caisse de dépôt et de placement du Québec d’un immigrant, de surcroît originaire de l’Ontario, en dépit des gesticulations de quelques grincheux apparatchiks du Parti québécois (encore!). Leur argument central : il est impensable que quelqu’un qui n’a pas baigné dans la culture québécoise puisse occuper des fonctions importantes. Peu importe que Michael Sabia ait passé 15 années au Québec, il demeurera toujours un « Canadian ». Messieurs, de grâce, épargnez-nous vos shows d’une époque quasi-révolue! L’hibernation hivernale ne devrait pas s’apparenter à un voyage dans le passé…
Pourtant, personne en Ontario ne s’est offusqué, quand le plus important câblodistributeur de téléphonie cellulaire au Canada a mis son devenir et son prestige entre les mains d’un immigrant de confession musulmane. Son nom : Nadir Mohamed. Une hirondelle qu’attend toujours le printemps québécois. Quelle magnifique leçon de pragmatisme de la part de nos compatriotes ontariens!

Arezki Sadat (Chroniqueur/collaborateur)