Ils l’ont fait! Les Fennecs ont remporté haut la main la bataille de Khartoum. Les Pharaons n’ont pas fait long feu dans le stade Red Castle d’Al Merreikh orné de drapeaux verts. Oum Eddounia a été remise à la place qui lui sied. La victoire historique de la sélection algérienne a été fêtée comme il se doit par la communauté algérienne au Canada.

Nos capés ont été héroïques. Le match d’appui des qualifications pour le Mondial sud-africain 2010 a été âpre et très disputé. Mais, contrairement à la rencontre de samedi disputée au Caire dans un contexte difficile marqué par la violence du public égyptien à l’égard de la sélection algérienne, cette fois-ci Rafik Saifi et ses coéquipiers n’ont pas fléchi sous le poids de l’enjeu. Ils ont tenu bon jusqu’au sifflet final, remportant la victoire par le score le plus étriqué possible (1-0). 

Yahia comme Van Basten
Ceux qui avaient prédit un match épique ne s’étaient pas trompés. Dès le début de la rencontre entre deux équipes qui se connaissent comme larrons en foire, la prudence était de mise et les occasions de scorer rares. Pendant la première demi-heure, à deux ou trois reprises, on a failli assister à l’ouverture du score, notamment quand l’avant-centre algérien Abdelkader Ghezzal, qui a admirablement bien secondé Saifi à la pointe de l’attaque, a failli battre le gardien de but égyptien Essam Al Hadary d’un splendide heading.

À cinq minutes de la pause, le maestro des Fennecs, Karim Ziani, adressa un centre lumineux vers l’aile droite. Ghezzal laissa passer la balle, tout en couvrant Anthar Yahia qui fut à la réception du ballon. On ne sait par quel miracle il s’est retrouvé dans les six-mètres adverses. Le reste, c’est un but d’anthologie du stoppeur de Bochum : d’une demi-volée imparable, il logea la balle dans la lucarne des bois gardés par Al Hadary. Exactement, « wayn echitane may djibha », dixit l’auteur du but de Khartoum. Un chef-d’œuvre à la Van Basten!

À la reprise, les Égyptiens tentèrent d’égaliser, mais le gardien algérien Fawzi Chaouchi étala tout son talent, notamment lorsque le meneur du jeu des Pharaons, le revenant Hosny Abd Rabo, se présenta seul face à lui. Chaouchi s’interposa à la manière d’un gardien de handball, repoussant des pieds le tir à ras-de-terre.

La main heureuse de Saadane
À Khartoum, le coach des Verts, Rabah Saadane, a non seulement renforcé l’attaque avec la titularisation de la paire Saifi-Ghezzal, mais il a eu le bon timing en effectuant des changements sans chambouler la configuration de l’équipe. Ainsi, vers la fin de la rencontre, on a vu l’apparition sur le terrain de Kamel Ghilès.

Les attaquants algériens ont opté pour un pressing au-delà de la ligne médiane. La stratégie de Saadane gêna considérablement l’adversaire. Les arrières latéraux égyptiens n’ont pas eu le rendement offensif escompté. Lors du match précédent, ils ont souvent alimenté en centres les attaquants Amr Zaki, Mohamed Zidan et Emad Moteab. Mercredi, empêchés de monter, ils n’ont été d’aucun secours pour leurs coéquipiers de l’attaque. Une mention spéciale est à décerner à l’inusable Saifi (à 34 ans!!!) qui, grâce à une fantastique débauche d’énergie, a souvent fixé les défenseurs adverses.

La rencontre a tenu en haleine des millions d’Algériens à travers le monde. À Montréal, plusieurs heures avant le début du match, les Algériens ont investi en grand nombre les pittoresques cafés et autres salons de thé du Petit Maghreb, dans le quartier Saint-Michel. Au coup de sifflet final, les rues avoisinantes ont été envahies par une foule imposante estimée à 5 000 personnes, parmi lesquelles on pouvait apercevoir un grand nombre d’enfants et d’adolescents qui n’ont jamais vécu une participation de leur pays d’origine à une Coupe du Monde de football. Pour eux, les chevauchées de Merzekane ou les centres de Madjer font presque partie d’une mythologie propre à leurs parents. Une lacune qui est en passe d’être réparée…

Et pour cause, la dernière apparition de l’Algérie du football parmi le gotha mondial remonte à 1986. 24 ans de disette et d’humiliations! Une période vécue comme une éternité dans un pays fou de foot. Avec la victoire de leurs idoles sur le vainqueur des deux dernières CAN, les supporters algériens, longtemps sevrés de compétitions internationales, tiennent enfin leur revanche. « Justice est rendue », s’exclama un compatriote rencontré au bien nommé café Le Fennec au terme du match d’appui d’Omdurman. Désormais, Bougherra et consorts sont élevés au firmament du football, comme leurs illustres prédécesseurs, les Madjer, Assad, Belloumi et autres Kourichi.

Quelle est belle l’Algérie qui gagne!
Les célébrations ont duré une grande partie de la journée, jusqu’à une heure tardive. Il fallait fêter la bataille 14-18. Tout a été organisé à la perfection et dans une ambiance bon enfant. Des supporters de l’équipe nationale se sont spontanément improvisés DJ non sans un certain brio. Un immense gâteau aux couleurs nationales a été servi par une enseigne limitrophe. La fête fut totale!

Le public a assisté à une véritable apothéose sous la forme d’une minute de silence observée en hommage aux victimes du Caire. Tout le monde avait en mémoire le bus des Fennecs caillassé à leur arrivée dans la capitale égyptienne, les visages ensanglantés de Khaled Lemmouchia et de Rafik Halliche, ainsi que les agressions et tout le cauchemar subis par les quelque 2 000 Algériens qui s’y sont déplacés. Nos fans ont été pourchassés jusqu’aux mosquées cairotes, avec la complicité des services chargés de veiller à leur sécurité. Heureusement que le match disputé au Cairo Stadium s’est soldé par notre défaite. Autrement, on aurait certainement assisté à un bain de sang. 

En niant les faits avec une étrange véhémence, les autorités égyptiennes et des journalistes locaux adeptes de propos de pyromanes, tel le sinistre commentateur Amr Adib, ont ajouté de l’huile au feu, ce qui a mis les rues algériennes dans tous leurs états. L’indignation a également atteint le paroxysme au sein de la diaspora algérienne. Les provocations d’anciennes starlettes du football égyptien étaient également sur toutes les lèvres. 24 heures après la confrontation soudanaise, rares sont ceux qui regrettent le froid qui s’est installé entre les deux pays. L’ambassadeur d’Égypte à Alger peut rester chez lui! 
 
Au Petit Maghreb, les chansons des populaires groupes algérois de chants sportifs Torino & Milano ont fait danser le nombreux public algérien. La musique kabyle, entrainante comme toujours, était également à l’honneur. De temps à autres, fusèrent des « harami » (voleur), une allusion aux fourberies de la partie égyptienne, immédiatement repris par le public.

Les Montréalais originaires d’Algérie n’ont oublié personne. Les paroles les plus chaleureuses sont allées aux Palestiniens et aux Soudanais. Leurs emblèmes étaient hissés dans plusieurs endroits du quartier. On pouvait aussi apercevoir des drapeaux tunisiens et marocains. L’un des DJ de circonstance a souhaité aux harragas algériens…l’obtention de la résidence canadienne, déclenchant l’hilarité au sein du public.

La plupart des journaux publiés à Montréal ont consacré leur Une à l’exploit des Verts. Dans le quotidien anglophone The Gazette, le sujet s’est étalé sur trois pages, avec photos à l’appui. Après la décennie noire marquée par une chute libre de notre football, les membres de la diaspora algérienne en Amérique du Nord ont à nouveau toutes les raisons d’être fiers de leur sélection. Et notre fierté, elle s’affiche au grand jour, comme chez cette jolie adolescente rencontrée dans le métro montréalais, le lendemain de la victoire des Fennecs du désert, arborant autour du cou un fanion aux couleurs nationales.  
  

Anthar le grand! Anthar le magnifique!
Finalement, les piqures des Guêpes rwandaises ont été sans effets sur nos représentants. De même, lors de la double confrontation algéro-zambienne, le « syndrome guinéen » n’a pas eu lieu, tout comme la bérézina cairote s’est avérée du bluff. Pour la cinquième fois d’affilée, les Fennecs se sont imposés devant les Pharaons, plusieurs fois détenteurs de la Coupe d’Afrique, sur terrain neutre. Oubliée la mésaventure du Cairo Stadium…

Le fait qu’Anthar Yahia soit l’auteur du but décisif est un acte de justice en soi. Le stoppeur algérien a fait partie de la vieille garde qui a tant enduré sur les terrains d’Afrique sans connaître la moindre consécration. Il fut de la campagne tunisienne 2004, marquée par un mémorable quart de finale Algérie-Maroc, au cours duquel nos représentants ont été rejoints au tableau d’affichage sur le fil, à la 96ème minute (déjà!), pour ensuite s’avouer vaincus aux prolongations (1-3).

Omdurman, c’est également une victoire personnelle pour le plus intellectuel parmi les professionnels algériens. Lui, qui avait été décrit par certains Égyptiens comme le maillon faible du onze national, allait sceller le sort du plus important match dans l’histoire du football algérien. Lui, qui du temps où il moyennait son talent en France était souvent ostracisé par les entraineurs français, notamment à l’OGC Nice, un club réputé chauvin. Chapeau Anthar le grand! 

Aujourd’hui, on peut dire que l’équipe nationale est ressuscitée. Un groupe qui fait tout avec les tripes, à l’image du peuple qu’il représente sur les stades du monde. Les manigances égyptiennes et le silence coupable de la FIFA n’ont pas eu raison des poulains de Saadane.
Le plus important est que l’envie de gagner est là. Le double voyage au Caire et à Khartoum a fortifié les Verts. Il reste à trouver des jeunes pouvant servir de doublures le cas échéant. Car la sélection nationale a montré des signes d’inquiétude sur lesquels, une fois les émotions retombées, on devrait impérativement se pencher. 

Par les temps qui courent, les joueurs censés renforcer notre sélection, il faut les chercher au sein de la diaspora algérienne, sans perdre de vue l’état dans lequel se trouve le sport roi en Algérie même. Ainsi, un Ryad Boudebouz ou un Sofiane Feghouli, jeunes attaquants tout juste dans la vingtaine et pétris de classe, représentant respectivement les couleurs de Sochaux et Grenoble, pourraient aisément tenir ce rôle. La Coupe d’Afrique qui se profile à l’horizon pourrait être une occasion de les tester dans les joutes internationales, surtout que le clivage pros vs. locaux n’a plus sa raison d’être.

Pour Saadane et les dirigeants de la Fédération Algérienne de Football, à côté de cette mission, la qualification au Mondial sud-africain relevait des travaux d’Hercules. Savourons donc l’instant, tout en fêtant nos héros à distance!