Il ne fait pas bon d’être libanais en cette rentrée automnale. Le film qu’a consacré la toute puissante télévision publique Radio-Canada à certaines pratiques de quelques descendants des Phéniciens vivant au Canada y est pour beaucoup.

La semaine passée, seul un périple en dehors du pays pouvait nous empêcher de suivre l’enquête sur des fraudeurs dont le but inavoué est d’obtenir un passeport canadien sans prendre le soin d’attendre les trois années obligatoires au pays de la feuille d’érable. Jugez-en par vous-mêmes : le film a été montré quatre fois; deux sur la SRC et deux sur son pendant spécialisé dans l’information continue, sans oublier les nombreuses fois où le sujet a été évoqué en présence ou non d’invités de choix. 

Ce faisant, les journalistes de Radio-Canada ont levé le voile sur des procédés qui existent depuis assez longtemps au sein de certaines communautés. Des fraudeurs, nouveaux immigrants ou consultants en immigration, ont été montrés en pleine besogne, étalant leur savoir-faire sur la manière à suivre pour profiter des lacunes du système canadien.

Des pratiques préjudiciables à tous
Le but est d’acquérir la citoyenneté canadienne sans sacrifier les privilèges dans le pays d’origine, comme une position sociale dûment acquise. Souvent, le nouvel arrivant ne passe que quelques mois dans le pays d’accueil, durée suffisante pour obtenir l’assurance maladie. Le reste du temps, il y bénéficie d’une adresse fictive. Physiquement, il se trouve à des centaines de milliers de kilomètres. Il peut ainsi vaquer allègrement à ses occupations, avec la perspective de devenir citoyen d’un pays stable et riche.   

Indéniablement, ces stratagèmes peuvent avoir des conséquences sur les premières années au Canada de nouveaux immigrants honnêtes et désireux de refaire leur vie quelque part entre l’Atlantique et le Pacifique. Je suis bien situé pour le savoir, puisque ma procédure pour l’octroi de la citoyenneté canadienne a dépassé la période standard en raison de deux voyages éclairs en Europe de l’Est, lieu de ma résidence précédente. J’ai dû montrer patte blanche. Plus de peur que de mal, mes démarches administratives ne sont plus qu’un mauvais souvenir.

Il est vrai aussi que tout un chacun pourrait se sentir lésé par ces fraudeurs d’un nouveau genre, si demain les autorités canadiennes se décideraient à apposer un cachet sur les passeports de personnes quittant le territoire, solution évoquée dans le film.
Ses réalisateurs ont traité de la question des fraudes « au passeport » sous divers volets. Des Libanais qui comptent au sein de leur communauté au Québec ont été invités de donner leur avis, y compris un ministre et l’ambassadeur du pays du cèdre à Ottawa. À savoir maintenant ce que pourrait faire un officiel libanais pour enrayer un fléau inhérent à la politique interne du Canada.

Dans le film, des cinq principes rudimentaires du journalisme, les fameux 5W (what, where, who, when, why), seuls les quatre premiers ont été passés en revue. On ne sait toujours pas pourquoi?
Je me suis souvent posé cette question lancinante depuis mon arrivée dans cette région du Monde : Pourquoi de nouveaux arrivants se décident à quitter un pays systématiquement classé dans le peloton de tête des contrées où il fait bon de vivre? Pourquoi les idoles de jeunes que sont Greg Rusedki, Owen Hargreaves et Lennox Lewis, ou encore le marchand d’armes Arkadi Gaydamak, ont préféré la brume londonienne au smog de Montréal ou de Toronto?

Ces Canadiens qui boudent leur pays
Des questions, il y en a encore : Pourquoi l’entraineur Othmane Ibrir, quelqu’un qui donné au soccer canadien ses plus beaux lauriers, a dû quitter son « exil dans l’exil » à Granby pour enfin mériter la reconnaissance de ses pairs dans son Algérie natale, où il se prépare à participer une Coupe du Monde pour jeunes? Pourquoi mon ami Andriy désire ardemment retourner dans son Ukraine natale, lui qui a passé presque une décennie sur les bords du Saint-Laurent? Pourquoi Gad Elmaleh n’a pas voulu faire rire les Québécois sur place, leur préférant le public parisien?

Concernant une certaine partie des immigrants récalcitrants, la réponse m’a été donnée sur un récent vol Montréal-Paris, exactement par mon voisin sur le siège à côté. Las de la précarité et d’attendre les retraites hypothétiques des baby-boomers, il avait décidé de repartir chez lui : au Liban!
Je peux d’emblée témoigner que ce n’était pas de gaieté de cœur. Il aurait aimé refaire sa vie à Montréal. Il a même essayé l’Ouest canadien. L’amertume se faisait sentir dans sa voix. Entre, d’un côté, un emploi incertain dans une firme de télémarketing et la perspective de passer des années entre les murs de son 2 et demi, et de l’autre, un retour parmi les siens, mon interlocuteur ne s’est pas posé de questions. 

Qu’est-ce qui fait que le Québec, parce que c’est surtout de la Belle Province qu’il s’agit dans cette histoire, n’arrive pas à retenir ses immigrants, pourtant soigneusement sélectionnés? Répondre à cette question, c’est comprendre une grande partie des motivations de ceux qui ne veulent pas vivre au Canada. Quel ingénieur accepterait de brader ses diplômes obtenus à l’extérieur pour se joindre aux centaines d’intellectuels aigris conduisant un taxi? Quel médecin se satisferait des charges d’un préposé aux ainés? C’est l’autre revers du Canadian Dream.

Pour ma part, je suis d’avis que les autorités canadiennes se doivent de faire le ménage dans un domaine aussi stratégique que l’immigration, surtout que d’autres pays (notamment en Europe) ont découvert les bienfaits de l’immigration choisie. Les consultants véreux et mal intentionnés doivent être pourchassés et, s’il le faut, durement sanctionnés.
Mais, il serait bon aussi de faire des efforts conséquents afin de soustraire le plus grand nombre de nouveaux arrivants à la précarité et à son corollaire, l’endettement. Le Canada peut-il se permettre longtemps de gaspiller des potentialités incommensurables? Le film de Radio-Canada n’a pas touché à cet aspect. Malheureusement.