Le bal des fraudeursBernard Madoff, Vincent Lacroix, Earl Jones, Normand Bouchard, Simon Saint-Hilaire, Michel Gariépy, Stevens Demers, Garth Drabinsky, Myron Gottlieb. Des noms qui ont fait pousser bien des cheveux gris. Tout ce qu’il y a de sombre dans l’impitoyable capitalisme nord-américain.

À eux seuls, les fraudeurs canadiens ont coûté presque deux milliards de dollars à des petits et moyens investisseurs. Derrière ce terme se cachent souvent des familles qui ont juste voulu améliorer leur quotidien en misant sur les prouesses de quelques gourous de la finance. Pouvait-il en être autrement quand certains charlatans de la finance étaient précédés d’une publicité irrésistible dans les médias? Des génies nés, disait-on. Auréolés de « faits d’armes » exceptionnels, Madoff et ses collègues ne pouvaient laisser insensibles de simples citoyens mal informés.

Où est la responsabilité?
On devrait donc rire à gorge déployée rien qu’en lisant dans une certaine presse que « l’épargnant est individuellement responsable quand vient le temps de placer son argent. » Ainsi, nous devons deviner à qui confier nos avoirs. Autrement dit, c’est aux citoyens que reviendrait la tâche ingrate de démasquer les fraudeurs. Reconnaissez que c’est là une mission périlleuse, quand on sait que le loup se trouve déjà dans la bergerie. Et nos loups à nous, ils sont tellement nombreux qu’on n’arrive plus à les compter; tellement boulimiques que tout l’or du monde ne leur suffirait nullement.    

La responsabilité des médias n’est pas à prouver dans les scandales à profusion que nous avons vécus ces dernières années. Des fortunes ont été construites sur le dos de centaines de personnes sans défense. Si les victimes ont pêché par leur crédulité, c’est en partie à cause de l’aura qu’avaient dans les médias Madoff et ses semblables.

L’escroc Bernie, qui - rappelons-le - pratiquait déjà le délit d’initié à une échelle jamais vue auparavant, était souvent cité comme le meilleur trader des dernières 40 années. Les éloges de ses pairs et des médias l’ont même propulsé à la tête du Nasdaq, une institution on ne peut plus respectable. Heureusement qu’il y a eu une femme, la journaliste Erin Arvedlund de l’hebdomadaire boursier américain Barron’s Magazine, pour détruire un mythe qu’on doit en grande partie à ses confrères.

Il a fallu des décennies et 50 milliards d’engloutis pour que l’opinion publique se rende compte qu’elle a été bernée. Pourtant, dans la plupart des cas, le schéma était le même : des réseaux d’investisseurs, victimes expiatoires, sont « construits » sur la base de chaînes, appelées communément pyramides de Ponzi, du nom de ce fraudeur qui a floué dans les années 1920 environ 40 000 Américains sur la Côte Est.
On serait enclins à penser que presque cent ans d’existence de pyramides frauduleuses étaient à même d’ouvrir les yeux aux citoyens avant d’investir leurs deniers. Malheureusement, ça n’a pas été le cas.

D’un autre côté, qu’est-ce qui empêche les autorités de faire la guerre à ce genre de pratiques? Chez nous, cette tâche incombe principalement à l’Autorité des marchés financiers (AMF). Pour l’instant, sa fonction se limite à la tenue d’un registre de personnes autorisées à exercer le rôle de conseiller financier. Pas suffisant.
Aux grands maux les grands moyens, dit-on. Les scandales à profusion prouvent que l’AMF ne peut à elle seule y mettre fin. On ne peut tolérer que de simples investisseurs paient pour le laxisme de ceux qui sont chargés de contrôler le marché des finances.

Gare aux faux prophètes
Des décisions fermes s’imposent pour mettre fin à des situations pathologiques dans le système financier. L’une d’elles s’impose : les pyramides devraient être éradiquées. L’AMF se doit d’être attentive. Les offres alléchantes peuvent prendre toutes les formes, y compris comme annonces dans la rubrique « Emplois ».
 
Il faut à tout prix retenir la leçon du plus grand scandale financier qui a touché nos voisins américains. The Economist n’a-t-il pas reconnu, fin 2008, que le stratagème échafaudé par Bernard Madoff « trahit une stupéfiante absence de contrôle préalable »?
En outre, des sanctions exemplaires donneraient à réfléchir à nombre de fraudeurs en herbes. Que sont les huit ans et demi que doit passer derrière les barreaux Vincent Lacroix par rapport aux 250 ans de Madoff? Steven Demers, lui, n’a écopé que de deux ans et demi. Pas beaucoup pour faire peur à la « relève » potentielle.

Il serait naïf de penser que les pyramides financières disparaitront du jour au lendemain. Je l’ai su à mes dépens (heureusement, sans pertes hormis le temps que m’a pris ma conversation avec mon interlocuteur), il y a quelques semaines, quand un conseiller financier m’a appelé chez moi à une heure inhabituelle pour une discussion sur l’état de mes finances. Me miroitant des gains faramineux, mon « conseiller » s’est révélé être un battant. Est-ce la nervosité de ces derniers temps qui l’a rendu aussi tenace?

L’immigrant algérien qui arrive dans ce coin du globe devrait être immunisé contre les pratiques frauduleuses des adeptes de Ponzi. On a bien connu chez nous Khalifa et ses châteaux d’Espagne. Là-bas aussi, les médias en ont fait un génie des finances, alors que le bonhomme ne savait que dépenser sans compter l’argent de petits épargnants qui espéraient juste acquérir un logement. Et en matière de dépenses, il a été bien généreux. Bien des gens ont bénéficié de ses largesses : artistes des deux côtés de la Méditerranée, journalistes, ministres et simples commis de l’État, officiers de l’armée avec leur nombreuse progéniture, etc.

Nos compatriotes qui ne reconnaissent que les mérites de la finance islamique ont le problème résolu. Ils sont à l’abri d’une mauvaise surprise. Mais les autres, s’ils n’ont pas encore entendu parler des scandales Khalifa ou Madoff, ne devraient pas avoir froid aux yeux quand un conseiller financier les accoste. Certes, ce n’est pas tout le monde qui a des desseins belliqueux. Il faut savoir séparer le bon grain de l’ivraie. Mais une chose est sure : personne ne fera de vous un homme riche en une journée. Ni durant la crise, ni après.


Arezki Sadat - Collaborateur/Chroniqueur